LES ÉLITES ET L’ÉLITE
Notre époque vit sur un paradoxe très étonnant : sans doute n’a-t-on jamais autant parlé des « élites » ; or cette invocation massive se produit au moment où ces élites sont peut-être au point le plus bas qu’elles aient jamais atteint quant au crédit et à la confiance. D’où vient ? comme disait Marivaux.
I. ÉLITES ET RÉPUBLIQUE.
Dans le cadre de l’AO, il est intéressant de s’interroger sur le statut desdites « élites », et en particulier en confrontant la réalité ainsi désignée par un mot pluriel à la notion d’ « élite » que nomme cette fois le mot au singulier. Il est possible de désigner ou de situer socialement ces deux catégories en disant que les élites sont ceux qu’on appelle couramment « les politiques » alors que ceux qui font partie de l’élite sont les intellectuels et les artistes : d’un côté ceux qui gouvernent et organisent, et de l’autre ceux qui pensent et qui créent – étant bien entendu que certains individus peuvent relever des deux statuts. Il est tout à fait évident que même si les champs de compétences et d’activités ne sont pas les mêmes d’un côté et de l’autre, les deux sphères ne sauraient rester étrangères l’une à l’autre, et qu’au contraire il peut et il doit s’établir entre elles un échange constant : l’action qui est le propre des politiques ne peut que trouver un immense bénéfice aux lumières que lui apporte la réflexion des intellectuels (ex. les travaux de Gilles Kepel) et aux éclairages que lui fournit la représentation proposée par les créateurs (ex. Soumission de Michel Houellebecq). En fait, ces deux sphères doivent trouver leur conjugaison et leur harmonie ou leur enrichissement mutuel pour la seule et fondamentale raison qu’elles sont censées cohabiter au sein de la République.
Or c’est justement sur ce point que, dans la France actuelle, la situation apparaît extrêmement complexe, pour ne pas dire profondément confuse jusqu’à devenir irritante au point même d’être devenue franchement inquiétante.
En effet, ces deux sphères se trouvent-elles ensemble dans la République, ou, question bien plus grave encore, sont-elles dans la République ? Il faut préciser que cette question ne peut s’envisager dans le cadre de l’AO que si la République est bien définie comme le régime sous lequel vit une communauté souveraine, c’est-à-dire dont les membres ou les citoyens, par l’intermédiaire de leurs élus, participent à l’élaboration des lois qui toutes ne visent qu’à l’intérêt général, lequel constitue la Transcendance vraie à laquelle, selon l’Ascèse requise, tout le monde ou chaque citoyen s’engage à sacrifier (contrat social).
Qu’en est-il en l’occurrence ?
II. ÉLITES ET AUTORITÉ.
S’il est patent que les élites, donc les « politiques », ont aujourd’hui largement perdu leur crédit et n’inspirent plus qu’une confiance fort limitée, et si on précise que crédit et confiance ne peuvent renvoyer qu’à l’efficacité, il faut constater que c’est précisément cette efficacité qui apparaît le plus en perdition, le paradoxe s’accentuant un peu plus chaque jour : le personnel politique actuel se signale à la fois par une considérable surface médiatique (« On ne voit et on n’entend qu’eux ! ») et une quasi impuissance (« Tout va de plus en plus mal ! »)
Pourquoi ou en quoi ?
C’est là encore dans le cadre strict de l’AO que les choses deviennent déchiffrables, même si ce cadre simplifie à l’extrême et ne permet pas de saisir tous les aspects de la situation.
Si la France était une République au sens que lui donne l’AO et rappelé plus haut, le personnel politique constituerait et exercerait une Autorité, c’est-à-dire que tous ses membres, puisqu’élus par le peuple, ne feraient que veiller à traduire en lois sinon toujours l’intérêt général, du moins autant que possible la volonté collective. Or qu’observons-nous ? Pour ne prendre que les seuls exemples de l’année qui vient de s’écouler, de la réforme des retraites imposée à coups de 49.3 jusqu’aux élections européennes et législatives qui ont vu les choix populaires pourtant clairs totalement bafoués par les « politiques », la conclusion s’impose : quant à ceux-ci, très peu leur chaut le Politique ! De toute évidence, totalement étrangers à l’Autorité, cette caste ne pratique que le Pouvoir. Autrement dit, ces gens ne pensent (s’ils pensent…) ni n’agissent (s’ils agissent…) dans le cadre de la République : les élites apparaissent ne siéger que dans le Système, et (faut-il le préciser ?) sur ses sommets. En quoi les élites sont loin, bien loin, de faire partie de l’élite, c’est-à-dire des individus qui n’ont souci, au jour le jour, chacun sur son mode et à son rythme, que d’aller le plus avant dans leur Processus. Clairement, alors que l’élite marche, les élites règnent ; alors que l’élite cherche, les élites trônent – autrement dit d’un côté la Volonté et de l’autre le Désir.
Pourquoi et en quoi est-ce grave ?
III. ÉLITE(S) ET RIVALITÉ.
Si les individus qui constituent l’élite sont dans l’effort de s’accomplir, les élites ne sont que dans la hargne de concourir : l’individu qui appartient à l’élite ne travaille, de toute sa Volonté, qu’à être toujours mieux que lui-même, alors que l’individu qui fait partie des élites ne s’acharne, de tout son Désir, qu’à être plus que les autres. Le premier est l’Individu, le second n’est qu’un Comparse : le premier progresse toujours dans le champ ouvert de sa propre Souveraineté, le second ne se débat jamais que dans l’aliénation de la Rivalité – d’un côté amour de soi, donc d’Autrui selon Rousseau, et de l’autre violence puisqu’amour-propre rousseauiste qui implique Haine d’Autrui. Autrement dit, le premier cherchant à s’accomplir, cet accomplissement au pire ne sera bénéfique qu’à lui-même et au mieux à tout le monde ; au contraire le second, étant toujours dans la concurrence et donc dans la malveillance qu’elle génère, au mieux ne fera de tort qu’à son principal Rival et au pire, outre à lui-même, à tout le monde. Les deux meilleurs exemples aptes à éclairer ce dernier point sont fournis, parmi beaucoup d’autres, par deux individus qui, totalement indifférents à l’état de la France et au sort des Français, ne visent, au sortir de ce long épisode élections/dissolution/élections, que le sommet suprême du Système, la présidence de la République, à savoir un Laurent Wauquier qui, par ses palinodies, cause un tort profond à son propre parti, et un Jean-Luc Mélanchon qui, par ses extravagances, porte gravement préjudice à la France tout entière.
Cependant, la question se pose également de savoir si les individus réputés former l’élite peuvent à bon droit se prévaloir de l’intégrité morale et spirituelle censée caractériser ce statut. À cet égard, une anecdote personnelle, laquelle remonte aux années 90, mais ne laisse pas de rester fort éloquente. Je suis auteur dramatique et j’ai essayé longtemps mais en vain de trouver un metteur en scène intéressé par mes textes ; habitant le Nord à cette époque, et la « décentralisation » étant alors pratiquée dans ses grandes largeurs (et toute démagogie déployée !), l’idée m’est venue d’adresser un de mes manuscrits (en l’occurrence Quartett sous Diktat) à l’équipe que réunissait alors, au Centre Dramatique National de Lille, le metteur en scène Daniel Mesguish. Après quelques semaines, le manuscrit me revient accompagné d’une lettre m’annonçant le refus et le justifiant en trois points : d’abord, une critique du titre, à savoir une condamnation de l’allitération qu’il contient, qualifiée de “sévère” ; ensuite un commentaire du contenu de la pièce à la fois lapidaire et totalement hors de propos ; enfin, et c’est la sommet, cette simple phrase : « Et nous ne pouvons pas retenir votre texte parce que vous pratiquez une écriture de droite. »
Je laisse de côté le Dépit qui pourrait m’animer (« Puisqu’ils n’ont pas voulu de mon texte, je vais te les assaisonner ! ») ; j’écarte également les considérations sur un ouvrage qu’on est évidemment libre d’apprécier ou non. Je veux ici n’examiner que les implications de ce jugement rédhibitoire proféré à partir de la dite « écriture de droite ».
IV. ÉLITE(S) ET SYSTÈME.
Bien sûr, j’aurais aimé que me soit expliqué, par une définition simple, ce qu’est une « écriture de droite ». Il n’est en fait pas difficile de saisir de quoi il s’agit, mais il est significatif que cette explication définitionnelle ne m’ait pas été fournie. Il est assez clair, au vu des “textes” qui sont joués depuis une quarantaine d’années sur les scènes françaises, que toute dimension littéraire en a totalement disparu, et qu’on préfère maintenant des textes « déconstruits », c’est-à-dire répondant à une revendication du n’importe quoi/comment ou de la médiocrité à la fois péremptoire et agressive – en fait une Injonction. Or à cette Injonction, en effet, je n’obéis pas. Personnellement, en écrivant, je m’en tiens à la plus haute exigence, technique et esthétique, ne trouvant d’ailleurs de plaisir c’est-à-dire d’intérêt qu’à cette exigence (« — Ce que tu écris serait très difficile à jouer. — Mais je l’espère bien ! ») Or, paradoxe stupéfiant, c’est cette exigence elle-même qui m’est imputée à défaut et qui se trouve rejetée sans appel sous l’appellation « écriture de droite » !
Et c’est ici que peut s’établir le lien voire se poser l’identité entre les élites proclamées et l’élite réputée. Si les premières ne résident nullement dans la République, on ne voit pas que la seconde s’y trouve davantage : tout ce petit monde baigne, mijote, patauge et à l’occasion bout, bouillonne et même écume dans le Système, et dans ses profondeurs bien qu’au sommet, et dans son épaisseur et ses touffeurs bien que sous ses lustres et ses lambris.
V. ÉLITE(S) ET IDÉOLOGIE.
À observer le comportement des élites et à écouter leurs discours, il est trop évident que non seulement elles n’exercent aucune Autorité en s’en tenant donc au Pouvoir, mais que ce Pouvoir même recule en permanence voire se couche en toutes occasions devant un autre, celui qu’il faut appeler « magister moral de la gauche ». Celui-ci impose, sous forme d’une Injonction massive, une complaisance sans limites pour les idéologies, en particulier l’islamo-gauchisme et le wokisme, avec tout ce qui peut naviguer et fluctuer, en passant par le féminisme et l’écologisme, entre ces deux piliers supportant le temple du politiquement correct – dans l’ignorance voire le mépris total de ce qui devrait être le premier souci des politiques, surtout ceux qui se réclament de la gauche, à savoir le sort des classes populaires. C’est en quoi nos élites se proclament « progressistes », et même « transgressives », quand ce n’est pas « subversives”… Il faut constater que, très majoritairement, elles sont totalement inféodées aux Frères Musulmans, un mouvement quasi clandestin et d’autant plus redoutable, structuré par le Désir bien arrêté d’islamiser l’Europe en général et la France en particulier, et cela en réussissant le tour de force, avec la complicité active de nombreuses ONG financées par le contribuable français, de retourner le droit contre l’État, c’est-à-dire les droits dont ils se prévalent pour pratiquer leur entrisme et leur propagande contre l’entité même qui les leur accorde ! Le procédé est particulièrement efficace pour favoriser une immigration de plus en plus incontrôlable qu’elle est volontiers ou plutôt volontairement incontrôlée. Cependant bien sûr, nos élites, qui ne sont pas assez bêtes pour ne pas voir la vérité, mais tétanisées à la pensée d’être rejetées vers l’extrême-droite en la disant, doivent dissimuler la violence qu’elles acceptent de subir au moyen de tout un chapelet de Mythes ; c’est ainsi qu’elles pratiquent en particulier le Mythe par inversion et le Mythe par négation : le port du voile, signe d’asservissement de la femme, est déclaré signe de sa liberté ; les idéologies à l’œuvre font l’objet d’un déni farouche : « L’islamo-gauchisme et le wokisme n’existent pas ! » À quoi s’ajoute l’Injonction de se repentir et de se haïr à cause de la colonisation, Injonction à laquelle nos élites obéissent avec un zèle stupéfiant, ne se reconnaissant plus qu’un avenir pénitentiel et se jetant sur ces nouveaux objets de Désir que sont un Pouvoir et une gloire à l’envers.
Mais c’est là que les élites sont rejointes par ce qui est considéré comme l’élite. En effet, même si le milieu intellectuel n’est pas touché dans son intégralité, grâce entre autres à des gens comme Marcel Gauchet, Gilles Kepel, Pascal Brückner, Alain Finkielkraut ou Michel Onfray, le milieu dit de « la création » – à part un Renaud Camus estampillé « extrême-droite » donc voué à toutes les gémonies, ou un Michel Houellebecq vache sacrée rigoureusement intouchable – se vautre, et avec un zèle qui ne le cède en rien à celui des politiques, dans la complaisance à l’égard des idéologies, pratiquant à haute dose cette bien-pensance « de gauche » qui, dans l’exécration des Nations, vague entre idolâtrie de la mondialisation ou de la “diversité” et promotion suicidaire des minorités (soi-disant) discriminées. C’est ainsi que le mot « droite » devient un signe d’infamie et une expression comme « la France » un syntagme suspect de pétainisme ou de lepénisme.
Voilà qui explique le rejet de « l’écriture de droite » et le fait qu’un mot comme « Souverainisme » soit en passe d’en devenir un gros.
Il faut constater que les élites comme la pseudo-élite, ayant déserté le Politique (ou ne l’ayant jamais fréquenté), ne se meuvent plus, et de concert, que dans la poisse à la fois perverse et arrogante du Religieux.
Que l’immigration soit un mouvement irrépressible de l’histoire, peut-être ; mais qu’elle ne soit pas un problème… Que la submersion migratoire ou le Grand Remplacement soit un fantasme, c’est possible ; mais l’islamisation…