L’AO ET LA TRANSCENDANCE
L’AO, prenant appui sur l’Horizontale indépassable de la Loi et ne reconnaissant qu’elle sur la totalité de l’existant, adopte donc une vision immanente du monde. De ce fait, elle exclut a priori toute transcendance. Cependant, de même qu’étant un Athéisme radical elle est mesure malgré tout de rendre compte du phénomène de la croyance, elle peut également, bien que conservant cette vision immanente du monde, rendre compte de la transcendance, et cela d’autant plus que le passage par Rousseau a permis d’assigner à ce concept un sens bien précis.
I. POLITIQUE ET RELIGIEUX
Rousseau donc, rappelons-le, distingue entre les besoins et les désirs. Les besoins, étant entièrement adéquats à la nature et ne sortant jamais de son cadre, ne vont jamais que vers le bien ; les désirs, étant totalement hors la Loi, engendrent immanquablement le mal. La raison en est simple. Les besoins, étant les mêmes pour tous, ne peuvent qu’amener les hommes à collaborer ; les désirs, étant particuliers à chacun, ne peuvent que les pousser à se déchirer. Tous les membres d’un groupe peuvent mettre en commun ce qu’ils ont de meilleur pour assurer à chacun la sécurité, le gîte et le couvert, de même que la liberté et la dignité ; ils ne peuvent que s’opposer jusqu’aux plus graves conflits si chacun est possédé du Désir d’ériger sur Autrui sa Verticale écrasante d’Avoir, de Pouvoir ou de gloire. C’est dire que les premiers sont en mesure de fonder la République à partir du contrat social, et que les seconds ne peuvent qu’ériger le Système justifié par le Mythe. Autrement dit, les premiers, restant dans le cadre strict de la Loi, mettent en œuvre le Politique, tandis que les seconds, perdus dans les illusions et les croyances, demeurent obstinément dans le Religieux (qu’il soit divin ou mondain, ou les deux – voir les deux articles précédents).
C’est à ce stade que peut se saisir la transcendance, et sous deux espèces différentes : la vraie et la fausse.
II. LES DEUX TRANSCENDANCES
Dans la communauté qui demeure dans le cadre de la Loi ou qui n’a en vue que les besoins de tous et de chacun, autrement dit dans celle qui adopte résolument le Politique et se détermine pour une politique – la République – tous ceux qui ont adhéré au pacte social ou qui ont souscrit au contrat social, ne l’ont fait que parce que conscients de la Loi et soucieux d’offrir à chacun les possibilités de son Processus, ils ont compris la nécessité de faire taire les intérêts particuliers ou le Désir pour laisser toute la place à l’intérêt général. Dès lors, ils révèrent cela seul qui transcende tout le monde, à savoir la communauté, mais aussi l’humanité qui en est la substance, si ce n’est la Loi elle-même. C’est ici ce que l’AO appelle la transcendance vraie : elle relève comme tel du Sacré.
Dans la communauté qui est sortie de la Loi ou qui n’est imbibée que par le Désir de tous et de chacun, autrement dit dans celle qui n’a pu su sortir du Religieux des origines et qui se détermine pour une religion – le Système – tout le monde et chacun cherche à faire prévaloir sur tous son statut de Dominant en richesse, en puissance et en brillance, c’est-à-dire que chacun est arc-bouté sur ses intérêts particuliers, ignorant, négligeant ou bafouant l’intérêt général. Dès lors, ils n’ont yeux et n’adorent que ce qui possède chacun, à savoir son propre Désir, Désir qui peut soit devenir la transcendance divine, Dieu, soit devenir la trinité mondaine, les idoles que sont l’Avoir, le Pouvoir et la gloire. C’est ici ce que l’AO appelle la transcendance fausse : elle ne ressortit qu’à la Sainteté.
III. LE BIEN ET LE MAL
La transcendance vraie est le centre d’une conscience ; la transcendance fausse est l’objet d’une croyance. La première est célébrée par le Citoyen ou le Savant, la seconde adorée par le Comparse ou le Croyant. Si celle-là opère sur le mode de l’inclusion (« Celui qui croit à l’Homme peut entrer ici »), celle-ci fonctionne sur le mode de l’exclusion (« Que celui qui ne croit pas en Dieu sorte d’ici ») : intégration versus excommunication. La transcendance vraie peut se rendre sensible sous forme d’un drapeau, d’une statue, d’un monument, d’un hymne, Symboles transparents ; la transcendance fausse se drape, se dissimule dans mille Mythes sibyllins. Enfin, la véritable, relevant de l’amour (de soi/ d’Autrui), ne regroupe que des associés ; la fallacieuse, relevant de la violence, ne confrontent que des Rivaux.
C’est aussi en quoi la première est synonyme de bien et la seconde synonyme de mal.