Billet 3 : KIPPA ou FRAPPEURS ET FRAPPES

Il y a quelques jours, ce fait divers : quelques jeunes gens portant la kippa dans la rue ont été agressés à coups de marteau.

Des bourreaux et des victimes — est-ce tellement sûr, c’est-à-dire aussi simple ?

Incontestablement, frapper quelqu’un est imbécile ; le frapper parce qu’il porte un signe d’appartenance ou identitaire est de la connerie pure. Mais porter dans la rue un signe d’appartenance, quel qu’il soit, qu’en dira-t-on ?

Une remarque, d’un bon sens un peu obtus mais imparable me semble-t-il, vient tout de suite à l’esprit : s’ils n’avaient pas porté leur kippa dans la rue, ils n’auraient pas été frappés.

Toutefois, au-delà de ce bon sens un peu sommaire, il convient de s’interroger. Observons la séquence :

Premier temps : des jeunes gens arborent leur insigne religieux ; second temps : d’autres jeunes gens frappent les premiers. Dans le cadre de l’AO, où on distingue violence première et violence réactive, les choses sont claires : si les seconds ont frappé les premiers, c’est qu’ils ont réagi secondairement à ce qu’ils ont ressenti comme une violence initiale. Est-ce que, contrairement à ce qu’on pourrait croire au premier abord, la violence première, loin d’être le fait des frappeurs, ne serait pas celui des porteurs de kippa ?

Scandaleux ? Essayons de décrypter les choses.

Dans un pays laïc comme le nôtre, la croyance et la pratique religieuses, pour être totalement libres, sont restreintes à l’espace privé. La loi ne veut voir devant elle que des citoyens strictement égaux en droits, sans aucune considération de la communauté ethnique ou confessionnelle à laquelle ils peuvent appartenir par ailleurs. C’est pourquoi, en pays laïc, la prière de rue ou le port dans l’espace public d’un insigne religieux ostensible — ou ostentatoire — posent un problème qu’il ne faut pas hésiter à dire grave. Pourquoi ?

On doit s’astreindre à faire parler le geste qui consiste à circuler dans une rue de France en arborant un signe d’appartenance religieuse comme la kippa.

Au minimum, ce geste veut dire : « Je suis juif.» Autrement dit : « J’appartiens à une communauté à part, qui n’est pas la vôtre.» Mais, puisque le signe d’appartenance est exhibé, un sens plus radical est clair : « Je sais que je suis dans un pays laïc, mais je porte ce signe dans la rue parce que, plus que Français, je suis Juif, parce que ma judéité prévaut sur ma francité, ma religion sur ma nationalité, parce que j’obéis à l’Injonction juive avant de me conformer à la loi française.» C’est-à-dire encore : « Ma religion vaut plus, vaut mieux que votre laïcité : elle est au-dessus, elle est supérieure.» Donc : « Français laïcs, je suis au-dessus de vous, je vous suis supérieur.» A la limite : « Je suis Juif, et je vous emmerde !»

En  termes de l’AO, le signe religieux, parce qu’exhibé, fait lui-même la preuve qu’il ne marque pas une Différence, laquelle se cultive dans l’intime, mais bien une Distance, laquelle s’affiche en public. La Distance — « Je vous surplombe, vous êtes des moins puisque vos lois ne valent rien » — c’est la violence même. (voir la leçon n°5)

Alors ? La violence est la connerie : frapper des porteurs de kippa, c’est de la connerie ; porter la kippa dans la rue, c’est aussi de la connerie.

Pour se désigner ainsi à la violence des frappeurs, il faut être un peu frappé. De fait, on ne voit pas, jamais, que la religion rende intelligent.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.