BILLET 5 : LA CORRIDA
Tu as entendu, et peut-être suivi cette polémique autour de la corrida : partisan ou non ?
Quant à l’AO, au premier degré, l’analyse est simple : la corrida est de la souffrance, donc elle va au rebours de l’Être, et comme telle doit être bannie. Mais au delà de ce premier niveau, on peut, par l’anthropologie de l’AO, proposer une analyse plus complexe du phénomène, afin de le comprendre en profondeur, opération indispensable pour espérer le réduire, l’user et, peut-être, le faire disparaître.
Regarde, observe une corrida, le décor et le drame. L’arène au milieu de laquelle le taureau est mis à mort : un cercle au centre duquel une victime est sacrifiée — ça ne te rappelle rien ? La victime, c’est un taureau, un mâle dominant… Bien sûr, la corrida est bâtie sur un schéma qui nous est familier : le lynchage du Colosse. Les spectateurs figurent la foule des lyncheurs, et ils délèguent l’acte à ce sacrificateur qu’est le torero, ou le matador, à savoir le tueur. Une fois le taureau mort, on lui coupe les oreilles : ce geste est de toute évidence un euphémisme de la mise en pièces du Colosse, et, bien sûr, la viande du taureau est ensuite consommée : diasparagmos et omophagia (voir leçon n° 10). Bien sûr que les consommateurs de cette viande n’ont plus conscience d’ingérer l’Être du Colosse ; cependant, ces oreilles, qu’on a coupées à l’animal, tu le sais, elles sont un autre euphémisme : autrefois, c’étaient les couilles qu’on lui coupait, au taureau, le centre symbolique de sa force, de son Être… Je te le dis : tout y est !
Alors ?
Eh bien chaque fois qu’un taureau est mis à mort dans une arène, c’est l’événement anthropologique qui est rejoué. Cela veut dire que les spectateurs sont des gens qui régressent jusqu’à l’origine de l’espèce, et, s’ils retournent bien à ce qui fonde l’humain, ils vont au rebours de la conscience pour revivre, au moins par procuration, la fête barbare du bain de sang qui aura été notre premier baptême. Tu t’expliques peut-être l’ivresse, reste de la transe, qui submerge nombre d’entre eux. Cette ivresse est éminemment propice à la Mythisation : tu comprends aussi sans doute pourquoi le torero se trouve magnifié, et même, dans son fameux habit de lumière, pratiquement divinisé. Bref, sang et dieu, malgré la stylisation et l’esthétisation de la pratique dite “culturelle,” avec la corrida, les aficionados retournent au plus profond de la connerie originelle.
Ainsi apparaît-elle dans l’AO : la corrida est superbe et lamentable.