BILLET 6 : LE MARIAGE HOMOSEXUEL
Là aussi, l’anthropologie peut apporter quelques éléments au débat.
Tu as dû entendre l’argument principal des détracteurs du projet : « Un enfant a le droit de grandir entre un papa et une maman, et c’est dans ce seul cadre qu’il peut se construire.»
Réservons pour l’instant la seconde partie de l’argument et observons la première.
Tout se jouerait entre un papa et une maman — non pas un père et une mère, mais un papa et une maman. “Père” et “mère”, à peu près partout, entre autres dans les établissements scolaires, sont devenus pratiquement des gros mots. On dit qu’on a contacté le papa ou que la maman n’était pas au courant, etc. Pourquoi j’insiste là-dessus ? Parce que c’est de toute évidence l’invasion de quelque chose qu’on peut appeler la sentimentalité. Or, celle-ci, par définition, est suspecte. Cette guimauve attendrie, cette délicatesse rose, aérienne et visqueuse comme la barbe à papa, masque forcément quelque chose : bref, c’est un Mythe. Et, tu le sais maintenant, le Mythe masque toujours la violence.
En l’occurrence, de quelle violence s’agit-il ?
Le papa et la maman, évidemment, nul besoin d’aller chercher fort loin le modèle : c’est la sainte famille. Dans la sainte famille, le papa, c’est le Dominus, le seigneur, et la maman, c’est la sainte vierge, celle qui se dit la servante du Seigneur — ça, je le sors tout droit du caté catho. Là encore, tu dois voir fort clairement quel est le modèle anthropologique. Le papa, le père, le seigneur, c’est le tout-puissant, et la maman, la sainte, la vierge, c’est l’envers ou l’inverse — le Mythe — de la femme violée, c’est-à-dire la mineure soumise. La sainte famille apparaît dans l’AO comme le Mythe du Système, avec l’homme-Seigneur-Dieu-Dominant, et la femme-servante-créature-Dominée.
Et alors ?
Eh bien il me semble clair que ceux qui refusent le mariage homosexuel, refusent que soit remis en cause, dans le cadre de la famille, ce modèle judéo-chrétien ; ils refusent que le mariage mette face à face, ou côte à côte, deux personnes qui sont sur un pied d’égalité, qui ont le même statut, donc dont aucune des deux ne détient le Pouvoir sur l’autre. Ils sont tout au Désir de conserver le modèle violent, réfractaires ou hostiles qu’ils sont au rapport d’amour. Mais bien sûr, comme ils ne peuvent le dire crûment, ils le dissimulent derrière le sacro-saint droit de l’enfant à avoir un papa et une maman, espérant que la rationalité du droit et la sentimentalité des termes masqueront efficacement la vérité. Mais comme toujours, le Mythe trahit cela même qu’il est censé cacher.
Quant à la seconde partie de l’argument, je pense personnellement que la construction d’un enfant ne dépend en rien de la présence ou non d’un père et d’une mère, d’un homme et d’une femme, de chaque côté de lui (ah ! moi, j’ai eu l’un et l’autre et je suis bien placé pour savoir que… — passons !) J’ai la convic-tion que cette construction et l’équilibre de l’enfant dépend tout simplement du regard qu’on pose sur lui : si c’est un regard de Pouvoir, l’enfant ne se construira pas, ou mal ; si c’est un regard d’Autorité, il se construira, et bien ; si c’est un regard de Dominant, aïe aïe aïe ! si c’est un regard de Mentor, tous les espoirs sont permis — un regard qui scandalise ou un regard qui galvanise. Bref, si l’enfant a un droit, c’est le droit au respect. Alors, Pouvoir ou Autorité, Dominant ou Mentor, le mépris ou le respect : voilà qui ne dépend en rien du sexe de ceux qui portent ce regard.
En tout, même et surtout dans le mariage, sortons du Système !