CHARLIE ET LES CONS
Il y a quelques années, écrivant deux petits ouvrages de synthèse, j’avais songé à faire entrer au nombre des concepts de l’Analyse Ontologique le concept de “con” et de “connerie”. J’avais alors l’intention de le faire figurer, à sa place dans l’ordre alphabétique, dans le glossaire. Je ne l’ai pas fait : c’est le jour d’y procéder, au moins le temps d’un article. Evidemment, je pense à la fameuse couverture de CHARLIE : « C’est dur d’être adoré par des cons !» Cela s’imposait – je vais donc l’affubler de la majuscule dans ces quelques paragraphes.
Commençons donc par une définition. Qu’est-ce qu’un Con ?
C’est simple : c’est la personne (pas sûr en l’occurrence qu’elle en soit une, bien plus probable qu’elle ne soit personne) qui, au lieu de tout faire pour favoriser l’Être, s’ingénie à l’entraver, à l’empêcher, à le torturer. Le Con, c’est le manieur de violence ou le manipulateur de Pouvoir. Le Con, c’est le fauteur du mal. Le Con, c’est celui qui ignore la Loi, laquelle ignore elle-même le mal, ou qui ne la sait que pour la bafouer, la dénigrer ou l’insulter.
Il est d’autant plus consternant d’être un Con que, de ne pas l’être, rien n’est plus facile : il suffit d’une raison et d’un cœur (les deux attributs de Rousseau : est-il besoin d’aucun autre ?) Le Con est donc celui qui n’est même pas capable du plus facile dans l’ordre de l’humain, à savoir, tout simplement, avec une raison à son minimum et un cœur au plus simple, à ne pas le faire le mal.
Il faut ici élargir la définition du Con, pour rendre compte de ce qui s’est passé chez CHARLIE, c’est-à-dire pour le comprendre.
Le Con, c’est aussi celui qui, incapable de reconnaître la Loi, de marcher dans son Processus et d’en assumer la solitude, donc qui, en proie à la Phobie progressive, cède au Désir régressif et s’agrège à un groupe. Ce groupe offre trois avantages, des avantages de Con évidemment : d’abord, il lui permet de retrouver une Horizontale, celle dont il est incapable de se passer, nourrisson ontologique qu’il demeure ; ensuite il lui propose un mode d’être et d’agir lui permettant, par la seule vertu du Même, d’échapper à l’effort et surtout à la responsabilité de l’Autre ; enfin il lui épargne de penser, de réfléchir, en surmontant tout son univers d’impuissance et de Haine, c’est-à-dire son Système, d’un Mythe auquel il lui demande simplement de croire. S’il n’est pas sûr que tout Croyant soit un Con, il ne fait pas de doute que tout Con est un Croyant. Le Con est celui qui croit que son Mythe est plus vrai que la Loi, qui croit qu’à son Mythe il peut et il doit tout sacrifier, y compris l’humanité même, à commencer par la sienne. Le Con est un Croyant qui croit tellement qu’il ne sait pus rien, même plus qu’il est un homme.
Et c’est le Mythe qui explique que le Con tue.
En effet, un Mythe, qu’est-ce que c’est ? Une bulle de savon. Une baudruche. C’est beau, ça ne pèse rien, ça ne coûte pas cher (le Con peut chier ces bulles par milliers chaque jour) – mais c’est fragile. Une épine, une écharde, une pointe et paf ! plaf ! ploum ! Ça pète, ça lui pète à la face, ça lui pète à la gueule (et une gueule de Con, c’est aussi sensible qu’une bulle de savon…) Or quelle est la pire épine, la pire écharde, la pire pointe pour un Mythe ? Le rire. Un Con te sort son Mythe ? Ris. Il pète – lui, et son Mythe. C’est pour cela qu’un Con ne sait pas rire, n’a pas d’humour – c’est à cela qu’on les reconnaît !!! Un Con parle, cause, hurle, gueule, pleure même s’il a du crocodile dans le sang : il ne rit jamais. Une vache qui rit est bien plus possible et plausible qu’un Con qui rit. Un Con qui se marre c’est aussi probable qu’une peau de vache qui chiale. Cherche toujours ! Et non seulement le Con ne sait pas rire, mais il déteste le rire, mais il le hait, mais il l’exècre, mais il l’abomine et le frappe d’une malédiction qui sent déjà le meurtre.
Et qu’ont-ils fait, les Cons, chez CHARLIE ? Ils sont tiré sur ce qui menaçait le plus leur Mythe : les pointes de crayons, les pointes de plomb, ces petites choses facétieuses et acérées qui faisaient exploser leur Mythe en plein vol dix fois par jour. La connerie même – la connerie massive des Cons.
J’ai entendu dire que leur geste est lâche. Certes. Mais il faut comprendre en quel sens. C’est qu’en fait le Con peut aller tuer Autrui parce qu’il est incapable du seul geste de courage qui soit, du geste unique de vrai courage : se regarder en face.
Quant à rire de soi, alors !…
Pour finir, une observation. Bien sûr je n’oublie pas ici Bernard Maris, dont j’écoutais avec tant d’intérêt les coups de gueule élégants sur France Inter à l’adresse de la Connerie (économique) ; bien sûr je n’oublie pas davantage les policiers qui ne faisaient que leur métier, lequel consiste à défendre la société contre les Cons ; bien sûr je n’oublie pas les autres morts que la Connerie des Cons a enlevés aux leurs en ce jour de janvier ; mais je dois dire que s’il n’y avait qu’un seul Con sur terre, ce serait toujours un de trop, alors que des Cabus, des Wolinski, des Charb et des Tignous, y aurait-il douze au mètre carré sur toute la surface du monde, ce ne serait jamais assez.