ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES
Dans quelques semaines, nous, Français, allons voter : les élections présidentielles.
L’AO implique une éthique qui interdit à celui qui s’en réclame de jamais donner des conseils, et encore moins des consignes. Cependant, je veux ici soumettre quelques éléments de réflexion. Tu peux, si tu le souhaites, explorer ces quelques pistes ; après quoi, en conscience, tu choisiras le destinataire de ton suffrage.
Je vais te proposer une réflexion à trois niveaux : du plus facile au plus complexe — à toi de voir.
Au premier niveau, je voudrais envisager quelques considérations générales.
ÉLECTIONS ET SPECTACLE
Qu’est-ce qu’une campagne présidentielle sinon, pour chacun des candidats, l’occasion de présenter son programme, c’est-à-dire d’exposer ses idées ? « Mais ils le font !» vas-tu me dire ? Voire !
Regarde bien.
Au lieu que les idées devraient être une fin, elles ne sont qu’un moyen : des instruments de séduction. On devrait avoir des postulants qui viennent proposer des solutions, et plus encore détailler des projets : on n’a que des compétiteurs qui viennent faire de la rhétorique pour gagner. On devrait voir chez chacun d’eux l’aspiration à être un artisan : on ne voit arder que le Désir d’être le vainqueur. La « stratégie » ? Uniquement de la mise en image et de la mise en scène : mise en image de la personne, mise en scènes des apparitions. On n’est que dans le spectacle — et le Barnum ronfle !
Les candidats sont en compétition, et au soir du second tour, il en est un qui recevra l’Oscar, ou le César, ou le Molière, ou la coupe de France. On est dans la seule logique du Système, c’est-à-dire de la rivalité pour s’emparer de son sommet, lequel est la plus haute marche du podium.
On doit se le demander : est-ce une bonne chose que de participer à ce cirque ? En effet, de la mise en scène à la liturgie, le pas n’est pas de géant. Et, en la matière, quelques petits rappels historiques ne peuvent faire de mal…
Nous devons voter ; mais il faut, mais il urge de rester lucide. Écoute bien les idées ; néglige la mise en scène. Une bonne idée mal mise en forme n’est-elle pas préférable à une mauvaise idée trop bien pomponnée ? Un bon candidat maladroit n’est-il pas préférable à un mauvais portant beau ?
Au deuxième niveau, il faut se demander pour qui voter, et sur quels critères se déterminer.
POUVOIR OU BIEN AUTORITÉ ?
La première question à se poser au sujet d’un candidat est fort simple, et c’est la plus fondamentale. On peut la formuler de plusieurs façons différentes : est-ce qu’il aspire à se mettre au service du pays ou désire-t-il le sommet du Système ? est-ce qu’avec lui il est question de la France ou n’est-il question que de lui ? est-ce qu’il aspire à servir ou ne désire-t-il que se servir ? est-ce qu’il veut être l’artisan d’une Autorité ou désire-t-il être le détenteur d’un Pouvoir ? est-ce que l’Autorité lui est un moyen ou le Pouvoir lui est-il une fin ? est-ce qu’il propose une épreuve de plus à sa Volonté dans son Processus ou focalise-t-il sur l’objet suprême l’obsession de son Désir ? En un mot : est-il l’Adulte ou le Comparse ? le Héros ou le Dominant ?
Pour éclairer mon propos, je te livre deux petites phrases de mon cher Rousseau :
Dans son Discours sur l’Origine et le Fondement de l’Inégalité parmi les Hommes, il cite un auteur latin : « Si nous avons un prince, disait Pline à Trajan, c’est afin qu’il nous préserve d’avoir un maître. » (Pléiade, p. 180,181)
Puis, un peu plus loin, il observe : « Quant à l’autorité paternelle dont plusieurs ont fait dériver le gouvernement absolu et toute la société […] il suffit de remarquer que rien au monde n’est plus éloigné de l’esprit féroce du despotisme que la douceur de cette autorité qui regarde plus à l’avantage de celui qui obéit qu’à l’utilité de celui qui commande. » (Pléiade, p.182)
Tu vas me rétorquer, et avec raison : « Comment savoir si un candidat se situe du côté du Pouvoir ou du côté de l’Autorité ? » Et, plus finement, de même que plus incontestablement encore : « Tout individu n’est-il pas un mélange indémêlable d’Adulte et de Comparse ? » Re-voire ! Il est tout de même certains signes qui ne trompent pas quant à la part qui, chez tout individu, l’emporte sur l’autre.
Vois ces deux exemples.
Demande-toi déjà si on peut avoir le même président quand retentit d’un côté « Quand ai-je attenté jamais aux libertés fondamentales individuelles ? Pourquoi voudriez-vous qu’à soixante-sept ans je commence une carrière de dictateur ? » et que grasseye de l’autre côté : « Il faut nettoyer les cités au karcher et casse-toi, pauv’ con ! »
« En fait de deuxième exemple, je te soumets cette interrogation émanant d’un blogueur que j’apprécie particulièrement, Philippe Bilger, ancien magistrat :
Pourquoi la droite la plus intelligente du monde de 2007 est-elle devenue cette bête politique aux abois jouant le destin d’un pays à coups de dés pour sauvegarder le sort personnel de son chef jamais discuté publiquement ? »
Mis à part le fait que l’expression « la droite la plus intelligente du monde » est peut-être un trait d’humour, une antiphrase, je te laisse trouver toi-même le petit détail qui montre clairement de quel côté on se trouve ?
Par ailleurs évidemment, on n’est jamais sûr de la façon dont va évoluer un homme politique, c’est-à-dire un individu qui accède aux hautes sphères du Pouvoir. J’écris, dans LE SCANDALE RENE GIRARD : « Partout, parce que l’éternel Comparse n’aura certainement jamais dit son dernier mot, ceux qui sont élus par l’Autorité et dont la tâche consiste à faire évoluer l’appareil législatif pour l’adapter toujours mieux au monde et aux intérêts de tous, ceux-là sont sans cesse enclins à faire ou à conserver des lois qui les avantagent, ou leur caste, c’est-à-dire à céder toujours à la tentation de tirer ce qui ne devrait jamais être que la loi pure vers l’Injonction arbitraire, à ramener toujours l’Autorité vers le Pouvoir. Le Désir y prend grosse part. Tant et tant d’hommes politiques cherchent à se faire élire non pour améliorer les conditions favorables au Processus de chacun mais pour refaire un Système dont ils occupent les balcons hauts, non pour donner à chacun sa liberté mais pour jouir de Privilèges, non pour servir mais pour trôner.»
Mais au moins peut-on être attentif et vigilant avant une élection et s’attacher à tous ces details qui ne trompent pas.
Enfin, un troisième niveau de réflexion, le plus haut, c’est-à-dire le plus profond.
LE SOMMET POUR QUOI FAIRE ?
Le sommet du Système, qu’est-ce ? L’AO répond : le lieu mortel ou meurtrier. Pour prendre deux exemples récents : Whitney Houston et Bachar Al-Assad.
Le sommet du Système : la chanteuse vient d’en mourir ; le dirigeant n’y cesse pas de tuer.
Tu vas me faire observer que la différence est considérable entre un artiste et un homme politique, et qu’il ne s’agit pas au vrai du même Système. C’est vrai. Et l’attitude au sommet n’est pas la même de ces deux personnes : la chanteuse avait tout à donner, quand l’homme politique n’est là que pour tout prendre, pour se bien servir et trop se resservir, à commencer par la gloriole, pour finir par la chair crue. Mais le sommet du Système est toujours le lieu de la mort : puisque c’est le lieu du Dominant, c’est toujours le point focal du lynchage, celui où le Dominant est tué, ou, pour ne pas l’être, tue.
C’est pourquoi il faut éviter de voter dans et pour le Système, et voter non pour le Pouvoir mais pour l’Autorité.
Au vrai, au moment de voter, il faut sortir du Mythe.
Il faut voter non pour Moïse, mais pour Jésus. La différence entre les deux ? Celle que le Croyant justement ne perçoit pas, ne voyant dans les deux figures qu’un prophète du Seigneur. Il faut être l’Athée pour voir et comprendre que le premier agenouille la foule quand le second dit à l’individu : « Lève-toi et marche.» Le premier est dans la logique d’un dieu, le second dans celle de l’Être ; le premier subjugue, le second libère.
Il faut prendre garde, toujours, de voter athée, et se défier, chaque fois, de voter religieux.
Dans le cadre de l’AO, c’est une évidence : le religieux est le Pouvoir, le Pouvoir le religieux. Le Pouvoir consiste à percher un individu tout en haut du Système, au sommet de la Verticale, en position divine. C’est là le Mythe : rien n’est pire. Celui-là, toujours, est dangereux, qui détient la position ou la désire : il ne peut qu’être prêt à sacrifier tout, biens et vies, à sa propre divinité. Dieu est la calamité majeure.
Tu penses que rien n’est commun entre Bachar Al-Assad et un dirigeant français ? Détrompe-toi. Si le dirigeant français est un homme de Pouvoir, entre lui et le Syrien, une différence de degré, en rien de nature. Un Dominant est un Dominant : le dieu doux n’est que le sommeil ou la patience du dieu dur.
La chance est toujours de vivre dans un pays où l’Autorité l’emporte sur le Pouvoir : il convient de voter en ce sens, lequel est et doit rester celui de la vocation de la France.