IMMIGRATION ET « VALEURS »
Un critique attentif, exigeant et sévère des présents articles, et qui conteste leur impartialité, voire leur pertinence – ce qui est hautement précieux pour l’AO dont le principe de base dans l’attitude qu’elle requiert est de ne jamais considérer détenir la vérité et d’appeler toujours à la confrontation des idées, à la contradiction, etc. – ce critique donc affirme, je cite : « Ma référence profonde, c’est en quelque sorte la sensation d’adéquation entre ce qui m’est proposé [par les médias] et les valeurs que je tente d’habiter, la liberté évidemment, la solidarité et l’humanité. De bien grand mots si difficiles à pratiquer (et je parle aussi pour moi). En dernier lieu, un repère : si ça ne va pas dans le sens de l’altruisme, c’est à poubelliser. » À quoi ce critique ajoute d’ailleurs reconnaître n’être « ni omniscient ni omnipotent » – constat qui coïncide tout à fait avec l’attitude requise par l’AO. Qui ne voudrait adhérer à ce discours ? Mais quand on parle de liberté, de solidarité, d’humanité et d’altruisme, il faut examiner ce que deviennent ces « valeurs » à la lumière du problème qui représente sans doute le défi majeur pour tout l’Occident : l’immigration – et dans sa dimension massive telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en Europe.
I. APPROCHE
Écartons d’emblée les fantasmes qui sont volontiers agités par certains ou par beaucoup dès qu’on parle de ce phénomène, à savoir la « submersion migratoire » et le « grand remplacement ». À s’en remettre à un démographe très au fait de la situation, s’il faut en effet constater l’entrée d’un demi million d’immigrants chaque année sur le sol français, il convient de se rendre au fait que, compte tenu des divers mouvements qui affectent aussi bien l’ensemble de ces nouveaux venus que les populations d’étrangers déjà en France, le solde annuel se ramène à un nombre situé entre 115.000 et 120.000 personnes. Si on rapporte ce chiffre à la population française qui avoisine les 70 millions, il apparaît évident qu’on est bien loin d’une submersion, au niveau de la France tout au moins.
Cette polémique neutralisée, le problème demeure et il semble que, pour bien le poser, il faille procéder préalablement à deux distinguos : en premier lieu, établir clairement la différence entre la liberté d’une part et l’humanité, la solidarité et l’altruisme d’autre part ; en second lieu envisager deux niveaux d’analyse : le niveau individuel et le niveau collectif, donc l’ontologique et le Politique.
Pour le premier point, il faut discerner que la liberté est une affaire de moi-même à moi-même alors que les autres valeurs sont une affaire qui se joue de moi-même à l’égard d’Autrui. Autrement dit, si toutes ces valeurs impliquent un combat, la liberté en est un que je mène pour moi-même alors que les autres valeurs impliquent une lutte qu’il faut mener dans l’intérêt d’Autrui. Bien sûr, tout se rejoint puisque cultiver ma liberté ne peut qu’aller dans le sens de celle des autres, c’est-à-dire sinon accomplir du moins approfondir en moi une humanité qui ne pourra que m’incliner à l’attention solidaire portée à tout le monde.
Ceci posé, dans le cadre de la présente réflexion, ce n’est pas le problème de la liberté, avec son double aspect de liberté intérieure et de liberté politique, qui doit nous retenir mais bien celui de la solidarité ou de l’altruisme – ou de l’humanité. Ce problème se pose donc, et de façon extrêmement différente, sur deux niveaux.
II. SOLIDARITÉ INDIVIDUELLE
Au niveau individuel, si j’aperçois, sur le trottoir d’en face, une personne en difficulté, en détresse, je traverse la rue et je lui apporte mon aide autant que je le peux. Bien sûr, ce geste d’humanité élémentaire ne saurait être conditionnel : pour secourir cette personne, je ne m’arrête pas à sa couleur de peau, à son pays d’origine ou à n’importe quoi d’autre qui relève aussi bien de sa culture que de son opinion. De même, il est toujours possible, à tout individu, d’apporter son soutien financier aux associations qui œuvrent contre la misère, l’exclusion, aussi bien en France que n’importe où dans le monde. Il apparaît clairement dans le cadre de l’AO que cette attitude, en plein accord avec le Politique sur le plan objectif, relève bien de l’ontologique sur le plan subjectif dans la mesure où ce geste d’humanité ou de solidarité est un geste de responsabilité que j’assume à l’égard de moi-même : si j’y manque, c’est devant moi-même, devant ma propre conscience, que je dois en répondre, contraint à constater qu’en n’apportant pas mon aide à Autrui, c’est à mon Être propre que j’ai porté atteinte. Sur ce plan, j’ai la totale maîtrise des choses, ce que l’AO appelle « Souveraineté ».
Il est évident que les choses se posent d’une tout autre manière sur le plan collectif du Politique.
III. SOLIDARITÉ COLLECTIVE
Sur ce plan, je ne dispose d’aucune possibilité de décision et d’action, celle-ci étant la prérogative exclusive de l’État. Quant à l’immigration, si même ne se trouve pas perdu de vue que le problème implique humanité et solidarité, il ne laisse pas de se poser en termes très concrets et d’une portée fort considérable :
1. Quel est le but de cette immigration ?
2. Quels moyens, financiers et matériels, peuvent être mobilisés pour réussir l’opération ?
3. Quels impacts cet afflux d’immigrés peut-il avoir sur la société d’accueil, ou bien quels sont les bénéfices qu’elle peut en tirer comme les inconvénients qu’elle est susceptible d’y rencontrer ?
4. Les immigrés vont-ils s’intégrer dans de bonnes conditions et vont-ils ou non trouver leur compte à cette situation ?
A. BUT
Quant à ce premier point, il faut d’emblée discerner que la politique migratoire, en Europe, n’est aucunement décidée par les États : elle est l’œuvre quasi exclusive de la Commission de Bruxelles. Celle-ci l’impose, unilatéralement sinon arbitrairement, à tous les membres de l’Union, quitte à susciter la réticence (la Pologne) quand ce n’est pas le refus (la Hongrie) de certains d’entre eux. Or pour quelle raison l’Europe mène-t-elle cette politique de l’immigration massive ? C’est une évidence : pour fournir aux « Grandes Entreprises » une main d’œuvre à (très) bon marché, laquelle, une fois procédé à toutes les dérégulations possibles, permet d’optimiser au maximum les profits à engranger. Autrement dit, cette immigration est le symptôme du Capitalisme dans ce qu’il a de pire. Si le Politique est bien le souci en acte de l’intérêt général, il n’est pour rien dans cette immigration qui ne sert que l’intérêt particulier ou le Désir d’Avoir de quelques-uns. L’immigration, quelques-uns s’en gavent et de grandes masses la payent. Il saute aux yeux que de ce point de vue, l’humanité et la solidarité ne sont nullement à l’ordre du jour dans le phénomène de l’immigration.
B. MOYENS
La première question qui se pose à un État choisissant de faire entrer des populations étrangères sur son sol est de savoir s’il est mesure de les loger. Au vu de la crise profonde du logement qui sévit actuellement – et depuis longtemps – en France, laquelle n’est même pas en mesure de fournir des logements décents et bon marché à ses étudiants, il est bien évident que les immigrés ont toutes les chances d’être encore plus mal lotis. La deuxième question est de savoir si l’État est en mesure de fournir du travail à tout le monde. Au vu du taux de chômage qui sévit actuellement – et depuis longtemps – en France, et de la facilité avec laquelle les « Grandes entreprises » sont toujours prêtes à délocaliser et à licencier, il est bien évident qu’en matière d’emploi, les immigrés ont toutes les chances de connaître le chômage. D’où cette autre question qui surgit immédiatement : l’État français a-t-il les moyens de verser des allocations chômage ou un revenu minimum à tous les immigrés qu’il ne peut employer, et de soigner gratuitement des gens qui ne cotisent pas, etc. ? Au vu de la dette faramineuse qui pèse sur les finances de la France et donc sur son avenir, il est bien évident qu’une large population d’immigrés ne peut qu’aggraver cette dette, et donc faire tort à toute la collectivité. Si la phrase de Rocard – « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » – désole notre sentiment d’humanité, elle ne laisse pas de rester parfaitement vraie. Et dernière question : la France se donne-t-elle ou peut-elle se donner les moyens d’intégrer ou d’assimiler ces populations immigrées ? Au vu d’abord de l’état pitoyable de son école, ensuite du refus agressif de nombreuses communautés immigrées de s’assimiler couplé à la complaisance douteuse à leur égard d’une gauche qui ne s’autorise plus rien que l’expiation sans fin de son colonialisme et de son soi-disant racisme, l’assimilation se trouve largement mise en échec. Dans ce tableau général, on ne voit pas où pourrait jouer la moindre solidarité.
C. IMPACTS
– Sur les Français.
Certes la France est bien loin d’être submergée, mais ce tableau global ne peut pas faire ignorer des situations locales très différentes induisant un « vécu » nettement plus angoissant pour les résidents de certains quartiers qui, lorsque la langue dominante est devenue l’arabe, que la mosquée a remplacé l’église et que tous les magasins sont devenus hallal, peuvent ne plus se sentir « chez eux » sur leur propre sol et qui ressentent durement ce que d’aucuns appellent « insécurité culturelle », la sensation de perdre son identité si celle-ci se saisit dans une langue et dans une manière de vivre. Il faut ajouter ce qui est sans doute le plus grave sur le plan objectif : la menace gravissime qu’une religion conquérante et fascisante comme l’Islam fait peser sur ce qui peut à bon droit être considéré comme le chef-d’œuvre du Politique en France : la laïcité – et ce n’est certes pas l’indifférence quand ce n’est pas le mépris que certains partis dits « de gauche » manifestent à son égard qui peuvent rassurer sur son avenir. En tout état de cause, on ne voit pas comment les populations « de souche » pourrait ressentir aucune solidarité avec des communautés fermées sur elles-mêmes quand elles ne sont pas agressives jusqu’à devenir parfois menaçantes (Samuel Paty, Dominique Bernard…)
– Sur les immigrés.
Cependant, c’est sans doute l’impact sur les immigrés eux-mêmes qui est le plus grave, au plan pratique, physique même, et au plan ontologique. D’abord, susciter cet appel d’air, c’est livrer chaque jour des groupes nombreux aux mains de passeurs qui leur extorquent, et à leurs familles, des sommes considérables ; c’est exposer également les jeunes femmes, et même parfois les enfants, à tomber sous la coupe des proxénètes et autres exploiteurs de viande fraîche. C’est également leur faire prendre le risque de mourir noyés en Méditerranée ou en Manche. Humanité, solidarité ? Pour ceux qui parviennent cependant à prendre pied sur le sol d’un pays européen, et en particulier en France, c’est, puisque le logement manque, les destiner à se livrer pieds et poings liés aux marchands de sommeil quand ce n’est pas à camper sous des ponts ou en pleine forêt, voire entre deux cartons sur un trottoir, avec tout ce qui peut en résulter sur le plan de leur santé, physique et psychique. Humanité, solidarité ? De même, étant donné la situation de l’emploi, c’est les vouer au chômage ou au désœuvrement, à l’exploitation par les patrons voyous, au travail au noir sans sécurité ni protection sociale. Et il ne faut même pas parler, au sujet de cette majorité d’hommes jeunes qui constituent la démographie des arrivants, de leur insondable misère affective et sexuelle. Mais la situation n’est pas plus riante sur le plan ontologique. En effet, contrairement à ce que prétend l’idéologie woke et en dépit de sa conception d’un individu en apesanteur qui choisit, selon son Désir, tous les éléments de son « identité », l’humain, pour s’édifier ou construire son Être, a besoin d’abord d’un sol, d’un socle, ou d’une Horizontale. L’individu, outre d’un pays natal, a besoin d’une communauté, d’une langue, d’une culture, à partir de quoi, s’étant suffisamment renforcé dans ce Même, il sera en mesure de partir – si telle est sa Volonté – vers l’Autre. C’est à cette Horizontale essentielle que chacun des immigrés se trouve arraché – a-culturation qui est sans doute la pire amputation ontologique qui se puisse concevoir. Il semble trop évident que ceux qui, malgré le dénuement et le désarroi, résistent à la tentation de la délinquance (vol et viol), il ne reste comme perspective que le désespoir. Altruisme, humanité, solidarité – et qu’en est-il de la liberté des intéressés ? Si on adhère à ces valeurs, il semble qu’il faille au moins déplorer et au mieux condamner l’immigration massive, ou qu’elle soit, résolument, et d’urgence, à « poubelliser ».
En fait, il s’impose que celle-ci, telle qu’en sa réalité actuelle, si elle est une chance (matérielle) pour quelques-uns, est une tragédie (humanitaire) pour le grand nombre, et d’abord pour les immigrés eux-mêmes. Si elle détermine en effet, en France comme ailleurs, une indéniable diversité, c’est un mensonge – un Mythe (par inversion) – que de dire cette diversité « heureuse ». En fait, elle ne l’est pas davantage que la globalisation ou la mondialisation dont elle n’est que l’aspect proprement humain. Il semble tout de même permis de se demander si, au lieu d’arracher aux pays « émergents » sa jeunesse avec ses énergies, il ne vaudrait pas mieux les aider à la garder chez eux afin que chaque jeune y contribue au progrès économique et à l’accomplissement politique.
Émigration, oui, pour ceux dont c’est la Volonté ; immigration, non, pour tous ceux qui y sont acculés.