BILLET : LA PUB ET L’HUMAIN
Une publicité actuelle montre un jeune homme qui, dans une maison de retraite, s’adressant à une vieille dame, lui demande : « Es-tu contente d’aller te promener ? » et qui en reçoit un fort maussade sinon un très revêche « Non ! » Ensuite, à la vieille dame marchant appuyée au bras du jeune homme et appuyée sur sa canne, une autre pensionnaire, tout sourire, demande : « C’est votre petit-fils ? » et cette fois la réponse est un « Il paraît… » émis avec les yeux au ciel. Puis le jeune homme amène la vieille dame devant une voiture. La mamie tombe alors en arrêt : « C’est ta voiture ? » Réponse affirmative du jeune homme, la voiture étant la XXXMachin avec tous les équipements bidules, truc-chouettes etc. Au plan suivant, la vieille dame est assise sur le siège passager, à côté du jeune homme, la vitre baissée, et, à la même pensionnaire que devant, elle annonce, rayonnante : « C’est mon petit-fils, Thomas. Il est formidable ! » Et, au sujet de la voiture, elle annonce, toujours à la même pensionnaire : « Elle est silencieuse et intelligente. Le contraire de vous. »
On se demande ce qui est le plus odieux dans ce spot.
Ainsi, non seulement cette vieille dame voit d’abord son visiteur comme un gêneur, mais elle ne se reconnaît même pas avec lui de lien familial ; non seulement elle n’exprime pas un minimum de gratitude, mais elle n’a pas un seul mot d’affection. Ensuite, son regard change sur le jeune homme pour la seule raison qu’il a acquis une XXXMachin avec tous les équipements bidules, truc-chouettes etc. Or, à ce moment, il ne devient pas « mignon » ou « adorable » mais simplement « formidable », c’est-à-dire non pas un objet d’affection mais seulement d’estime, toutefois d’une estime non pas motivée par une quelconque qualité mais par le seul fait qu’il a acquis la bonne voiture. Autrement dit, la grand-mère ne voit ne voit en lui ni un bon garçon ni son petit-fils mais uniquement un Comparse qui a acquis le bon objet du Désir. Elle trahit ainsi être elle-même un Comparse, en l’occurrence une Croyante du Religieux mondain fonctionnant sur ce Mythe : « J’ai (une belle voiture) donc je suis. » Elle est indifférente à l’Être de son petit-fils : elle ne fait que le situer dans la Hiérarchie du Système, et, cela seul ayant de l’intérêt pour un Croyant, en haut.
Cependant, la touche finale mérite le détour. Ayant pris place dans la voiture, donc étant montée elle-même fort haut dans le Système, cette Croyante ou cette grand-mère qui n’en est pas une ne trouve rien de mieux, à l’autre pensionnaire, que de balancer un superbe vacherie, en établissant avec cette malheureuse une Distance telle que cette dernière, pourtant si aimable, se trouve rejetée non seulement dans l’Horizontale du Système mais dans un de ses trente-sixièmes dessous où elle est transformée en objet affecté de défauts qui sont le symétrique inverse des qualités de l’objet-voiture – réifiée et néantisée.
Bien difficile de faire pire.
Que reste-t-il de l’humain quand ne prévaut plus que le Désir ?
C’est sur ce « reste » que joue la pub.