LE BATACLAN : PRIER OU COMPRENDRE
I. CONSTAT
Quand la connerie (1) pure a frappé, rien n’est à dire. Tout au moins, rien ne sert de qualifier : il faut se taire à point.
Se taire mais ne pas cesser de penser. Et ce qui me donne à penser, en cette fin de week-end sans nom, ce sont les réactions que j’ai entendues nous parvenant du monde entier. Parmi elles, une m’a particulièrement interpellé, pour ne pas dire interloqué. Elle nous vient du monde anglo-saxon, Mme Clinton étant même au nombre de ceux qui l’ont proférée. J’ai entendu plusieurs versions, plusieurs variations sur le thème, mais en gros c’était : « Pray fort Paris, pray for France » et ad libitum. Oui : cela me semble la pire des réactions. Même le pape, dont c’est pourtant le champ lexical préféré sinon même réservé, ne l’a pas osée.
Pourquoi la pire des réactions ?
Tout simplement – mais ce n’est pourtant pas simple – parce que c’est se situer justement sur le terrain même des terroristes.
Combat-on la connerie par la connerie ? Neutralise-t-on le Mythe par le Mythe ?
Non, il ne faut pas prier. Je dis bien « il ne faut pas prier » et non pas « il est inutile de prier » ou quelque chose dans ce goût insipide-là.
Pourquoi ?
Parce que prier, c’est se retourner vers et s’en remettre à Dieu.
II. DIAGNOSTIC
Or, pour commencer, quel Dieu ? Ce dieu qui n’a rien fait avant, que fera-t-il après ? Ce dieu qui n’a jamais rien entendu, qu’entendra-t-il jamais ? Ils sont en nombre infini, depuis que le monde est monde, les événements qui ne laissent aucun doute, mais le seul qui s’est déroulé ce vendredi 13 novembre en est la preuve, s’il en fallait une seule encore : ce dieu-là n’est pas – Dieu n’existe pas.
Ensuite, puisque Dieu n’existe pas mais que tant de foules y croient et surtout que tant d’individus en parlent – et entre autres ceux justement qui manient la connerie meurtrière de masse – et que ce dieu-là fait agir et met même en œuvre des forces considérables, des énergies infinies, et surtout des abominations colossales, il faut bien que Dieu soit quelque chose, et forcément quelque chose de grave, quelque chose de moche, quelque chose d’atroce. Et qu’y a-t-il d’affreux en l’homme qui n’appartient qu’à lui, qui le fait homme pour le pire même si ce n’est que de là que pourra sortir le meilleur, sinon ce que l’AO appelle le Désir ?
Oui, Dieu, c’est le Désir divinisé.
Oui, Dieu, dont il est réputé que nul ne peut rien savoir, est seulement ce en quoi il faut croire : Dieu, c’est la croyance, parce que le Désir, c’est croire, croire que l’Être peut se saisir dans un objet, l’Avoir, le Pouvoir ou la gloire. Et le Désir, c’est croire en ces objets au point de leur sacrifier tout, l’amour, la vie, des vies – l’humanité. C’est pourquoi, le Désir, c’est le mal ; c’est pourquoi Dieu, qui n’est que le Désir, c’est le mal. Mais bien sûr, le Mythe le déguise. Qui accepterait de voir en Dieu son Désir, c’est-à-dire sa propre hideur, c’est-à-dire sa propre connerie ? Travestir Dieu : c’est à quoi sert le Mythe. Ce Désir qui ne tend qu’au néant, le Mythe en fait le Dieu qui est déclaré l’Être ; ce Désir qui n’est que le mal, le Mythe en fait le Dieu qui est déclamé le bien ; ce Désir qui n’est que la Haine, le Mythe en fait le Dieu qui est proclamé l’amour. Bref, qui dit « Dieu », dit aussi « Diable » : Dieu et Diable sont les deux faces de la même immonde médaille. C’est pourquoi, quand le mal a frappé, dire « Priez », c’est s’en remettre au mal pour combattre le mal. La prière ânonnée pour les victimes n’est que l’envers de la malédiction proférée par les bourreaux, son envers jumeau, son négatif parfait, son clone inversé, son décalque symétrique – car le religieux ne fonctionne que selon la seule logique du Même. N’invoquez plus Dieu !
Pitié ! En voilà assez de ce dieu au nom duquel tout le bien nous a été promis et par lequel tout le mal nous est toujours échu. Laissez en paix, pour la nôtre, Dieu qui n’est que le masque du Diable, ou le nom à l’envers du mal.
III. REMEDE
Alors ? Une seule chose à faire : comprendre. Se taire et essayer de comprendre. Comprendre quoi ?
Comprendre justement ce qu’est Dieu, c’est-à-dire ce qu’est le Désir, à savoir que c’est le mal. Et surtout comprendre que le Désir, chacun de nous le porte en soi, chacun de nous l’écoute et le nourrit, chacun de nous y est en proie et en est la proie. Un seul humain qui ne serait pas en proie au Désir, cela n’existe pas – ou il ne serait pas humain. Un seul est réputé avoir été exempt du Désir, mais celui-là : un grand blond de papier, un personnage conceptuel, une clé si on sait l’utiliser comme un Symbole, une plaie si on s’égare à en user comme d’un Mythe – c’est-à-dire en le croyant vrai. Non. Il faut se retourner vers soi-même, en le sachant : le Désir habite chacun de nous et chacun de nous doit le connaître pour le cerner, et le neutraliser. C’est cette opération qui s’appelle : être responsable.
Oui, je le sais, le remède n’a rien de confortable. Mais il n’en est pas d’autre. Si bien que, tu dois le savoir et te le dire et n’y jamais manquer, toi qui lis ces lignes, toi aussi, tu es sujet au Désir. Je te souhaite de faire partie de ceux qui parviennent à le tenir en respect, ou à le cantonner dans des zones bénignes, c’est-à-dire dans la clarté de la conscience. Mais sache qu’à tout instant… C’est à ce « tout instant » qu’il faut penser, à tout instant.
Je compte sur toi.
(1) Pour la définition du Con, voir l’article précédent.