LE PAPE MACRON
Le 14 mai 2017, après la victoire à la présidentielle d’Emmanuel Macron, j’avais publié l’article Le Pen/Macron : le religieux et le politique. J’y opposais les deux finalistes, à partir du débat de l’entre deux tours, en tant que représentants du religieux pour la dame et du politique pour le monsieur. En effet, tandis qu’il paraissait proposer le débat, l’échange contradictoire et constructif, elle cherchait visiblement à se faire le Dominant, d’ailleurs goguenard, de celui qui n’était alors qu’un Rival, allant même jusqu’à tenter de s’ériger au-dessus de lui en tant que Scandale, prétendant le terrasser et le reléguer dans les trente-sixièmes dessous d’un Système dont elle se désirait la divinité triomphante. Outre que lors de ce débat, elle a montré ce qu’elle était, mauvaise, à savoir aussi méchante qu’incompétente, elle a apporté la preuve que le pire n’est pas toujours le plus sûr, c’est-à-dire que le religieux, surtout s’il est l’arme d’un médiocre, n’est pas toujours assuré de l’emporter sur le politique. Voilà un point d’acquis.
Cependant, j’avais terminé l’article sur une expectative : Emmanuel Macron était-il vraiment le candidat sinon le champion du politique, tel qu’il était apparu lors du débat, ou, puisqu’à la date de rédaction de l’article, le concept de présidence jupitérienne avait déjà été forgé et mis en circulation, n’était-il que le représentant d’un autre religieux, dont il conviendrait aujourd’hui de s’aviser qu’il ne faisait que se dissimuler derrière un politique bon teint ? Un an et demi plus tard, la réponse ne fait plus de doute, et depuis déjà longtemps. En dépit de ses promesses, et sous couleur de rendre à la fonction tout son lustre, Emmanuel Macron a érigé sa Verticale, dûment écrasante et, bien loin d’être l’orchestrateur d’une Autorité intelligente et dynamique, il s’est mis à exercer un Pouvoir personnel, jaloux et méprisant : « Moi, je sais, et vous tous, vous n’avez rien compris ». C’est donc avéré : tandis que Marine Le Pen, qui visait à tout verrouiller, avait le Désir d’établir un religieux dont le dieu est « la France » et dont elle aurait été la grande prêtresse, Emmanuel Macron, qui désirait tout déréguler, a imposé au pays un religieux dont la divinité est « le Fric » et dont il est tout simplement le pape.
Emmanuel Macron manie une théologie qui s’appelle « Économie », ou plutôt « Finance », et, en tant que théologien hautement compétent du CAC 40, du Dow Jones et autres Nikkei, il ne fait rien d’autre, au fond de son oratoire élyséen, que manier des tonnes de chiffres et, après les avoir organisés en équations imparables, à imposer celles-ci comme des dogmes intangibles, en se servant du Mythe « Réformes » pour dissimuler la violence de la casse sociale qu’il institue, et à grands renforts de « Pognon de dingue », de « Il suffit de traverser la rue » et de « Il faut arrêter de se plaindre » puisque, c’est de notoriété publique, le pape est infaillible. Mais de même que toute théologie oublie le réel qu’elle recouvre de ses concepts vides, Emmanuel Macron a oublié que derrière ses chiffres, ou plutôt loin en dessous, il y a des gens, et des gens qui souffrent et même que les chiffres tuent. Alors qu’arrive-t-il ? La réponse porte un nom en cette fin d’automne : « Gilets Jaunes ».
Certains disent que le peuple s’est mué en foule. En termes de l’AO, ce qui aurait dû être la communauté politique, partie prenante des lois, s’est progressivement muée en Horizontale écrasée par les Injonctions sacro-économiques du Dominant Macron, et, comme chaque fois que trop c’est trop, cette Horizontale, exaspérée, s’est formée, agrégée, d’ailleurs dans la confusion, en ruée dionysiaque, et elle se porte maintenant au sommet parisien du Système pour dévorer tout cru son occupant (voir la dixième leçon) : violence première suivie de la violence réactive, c’est vieux comme le monde et ridé comme l’humain. Rien d’autre n’est à dire au sujet des scènes d’émeute qui ont marqué le samedi 1er décembre à Paris – sauf, une chose, tout de même…
Un CRS a failli se faire lyncher : ce sont peut-être les pires images de ce samedi insensé. Il ne fait pas de doute que cet homme n’était qu’une victime de substitution : la personne réellement visée était le Dominant Macron, bien à l’abri derrière son rempart de sécurité (« Qu’ils viennent me chercher ! ») À cet instant, la France a touché au fond du religieux, plus précisément du religieux mondain, celui de l’Avoir/Pouvoir/gloire, que Jupiter a fait tomber sur le pays comme une masse.