COUPE DU MONDE : LE SUPPORTER
Il peut être le gusse folklo qui se peinturlure aux couleurs de son club, qui se perruque en fluo et qui se drape dans son drapeau, mais c’est aussi le type qui hue ceux d’en face, mais aussi qui insulte l’arbitre, mais aussi qui casse voire qui tue.
Celui-là, c’est le supporter.
Il ne faut pas s’y tromper : entre les quelques comportements recensés ci-dessus ne prévaut jamais qu’une différence de degrés, aucunement de nature.
Qu’est-ce donc au juste qu’un supporter ?
C’est un individu qui n’est mené encore et toujours que par le Désir ; c’est un individu qui n’évolue encore et toujours que dans le religieux.
Le supporter est un Croyant. Sa croyance – et c’est là en fait la définition même de toute croyance – est que l’Être ne réside qu’au sommet du Système. Comme tout le monde, il est travaillé par l’aspiration ontologique : il aspire à être, il aspire à l’Être. Mais au lieu de se lancer et de progresser dans la seule voie qui y mène, le Processus, découragé par les efforts qu’il requiert, c’est-à-dire incapable de la Volonté qu’il exige, il a opté pour le Système et pour le court-circuit du Désir. Autrement dit, incapable de la Tentative, il a cédé à la Tentation. Celle-ci revêt deux aspects : d’une part elle fait apparaître l’Être non plus comme le dépassement de soi-même mais comme un triomphe sur Autrui (« C’est moi le plus fort ») ; d’autre part elle est l’illusion que cet Être au sommet ou ce (pseudo) sommet ontologique est immédiatement accessible. Ces deux aspects de la Tentation définissent en fait très précisément le Désir agressif.
Le supporter, tout autant qu’à son Processus, est inapte à cette ascension dans le Système. Si bien qu’il délègue cette ascension à un tiers : en l’occurrence l’équipe qu’il a élue. C’est cette équipe, à laquelle il s’identifie totalement, qui doit atteindre pour lui le sommet du podium et brandir la coupe du monde, fétiche qui signifie le sommet du Système mondial.
Dès lors, tout son comportement est facilement déchiffrable. Rien, n’est “trop” pour encourager son équipe : arborer ses couleurs sur toute sa personne ; bramer son hymne et brailler ses slogans, etc. Si cette équipe est victorieuse (« On a gagné ! ») il croit avoir atteint le sommet du Système ; mais si cette équipe perd (« Ils ont perdu ! »), le supporter se sent floué. Il lui avait délégué sa promotion ontologique et elle a déçu cette attente ; il comptait sur elle pour dominer, et elle a trahi cet espoir. Alors cette équipe, qu’il avait placée au sommet de la Verticale, il la fait choir tout en bas, où l’attend le sort de tout Dominant déchu : le lynchage. Le supporter peut alors casser des vitrines et des abribus pour débonder sa rage sur des victimes (matérielles) de substitution, mais il peut aussi le faire tomber sur une victime (humaine) comme l’arbitre, et il peut enfin s’en prendre à l’équipe elle-même…
Voilà le supporter.
Celui qui en reste aux comportements bon enfant a sans doute conquis assez d’Être pour ne pas se désespérer jusqu’à la rage ; celui qui se sent dénué d’Être est littéralement fou du vide aggravé que vient faire béer en lui cet objet manqué du Désir qu’est la victoire. Le premier a tout ce qu’il faut pour accéder à l’Adulte si ce n’est déjà fait ; le second a toutes les chances de n’être qu’un Comparse indécrottable – sauf la conversion…