LES JMJ ET L’ESPRIT

Voilà les JMJ !

I. D’abord, une observation.

Les Journées mondiales de la Jeunesse. Il est tout de même étrange que le sigle n’intègre pas l’identité religieuse de la manifestation : les JMJC – les Journées mondiales de la Jeunesse catholique. « JMJ » semble dire que c’est toute la jeunesse qui se trouve conviée à ce rassemblement, ce qui est vrai peut-être sur le plan théorique, mais qui est loin d’être rigoureusement vrai dans la pratique (quid des protestants et des orthodoxes ? quid des Croyants juifs et musulmans ? quid des Athées? etc.) Le sigle « JMJ » impliquerait-il une discrimination ?

II. Ensuite, une réflexion.

Cet été, à Lisbonne en l’occurrence, deux thèmes s’imposent : l’un, de fond, les abus sexuels dans l’Église ; l’autre, d’actualité, la guerre en Ukraine. Dans les deux cas, les victimes sont (entre autres en Ukraine) des enfants : des centaines de milliers à travers le monde dans le premier cas ; près de cinq cents morts sous les bombes russes dans le second cas.

Et que font les Croyants catholiques ? Ils prient.

D’innombrables vies brisées par la concupiscence ou broyées par l’artillerie : et que font les jeunes Croyants catholiques ? Ils acclament le pape et ils prient. « Mon Dieu, faites que… Mon Dieu, ayez pitié de nous… » Et chacun de s’abîmer longuement au fond de sa ferveur, avant que tous se relèvent et applaudissent la bénédiction papale.

Et pendant ce temps…

Croyez-vous qu’un seul de ces jeunes, qui sont l’avenir non seulement de l’Église mais également du monde, s’aviserait de regarder quels sont les effets de sa prière sur les viols et sur la guerre ? Il n’est pourtant pas difficile de voir ces effets, ou plutôt de constater qu’ils sont nuls. Ce n’est du reste pas nouveau : il ne s’est jamais vu, depuis que le monde est monde, que des prières aient jamais rien pu contre le malheur et contre le mal. Il n’est pas difficile de se convaincre que les prières n’ont jamais changé le cours de l’histoire, contre un appétit sexuel pervers ou contre un appétit de Pouvoir dément. Jamais ! Le prétendre relève de la malhonnêteté intellectuelle la plus drue.

Alors ?

D’abord, accepter une évidence. Chaque fois qu’un enfant se retrouve entre les mains d’un prêtre ou sous une bombe, où est Dieu, que fait Dieu ? Que vaut-il mieux ? Dieu indifférent, Dieu impuissant, ou pas de Dieu du tout ? Il faut l’admettre car chacun de ces cas le démontre avec la pire crudité et la pire cruauté : Dieu n’existe pas. Du reste, l’ensemble de l’histoire et chaque détail de l’actualité l’établit irrémédiablement : Dieu n’existe pas.

Et s’Il existait, que serait-Il ? Un dieu qu’il faut prier pour qu’Il daigne intervenir, Lui le Tout-Puissant ? Un dieu qu’il faut servir pour qu’Il accorde Ses récompenses, Lui le dieu d’amour ?

À vrai dire, Dieu, tel qu’il apparaît ou transparaît, ce dieu odieux, est le pire ennemi de Dieu.

Ensuite, changer de transcendance et donc d’attitude. En finir avec cette transcendance fausse qu’est Dieu et se vouer à la transcendance vraie qu’est l’humain. Abolir la divinité et promouvoir l’humanité – autrement dit abolir le Religieux et promouvoir le Politique. Et c’est ainsi changer d’attitude. Dieu suppose tout le monde à genoux et impose de prier ; l’humanité propose tout le monde debout et engage à agir. N’est-ce pas là de quoi mobiliser toute la jeunesse avenir du monde ?

III. Un dernier point, le plus difficile.

L’Église, et toutes les religions du monde, ont une fâcheuse tendance à confisquer la spiritualité, à prétendre qu’en dehors d’elles, elle n’existe pas. Et quel nom donne-t-elles à la spiritualité ? « Dieu ». Mais qu’est-ce que Dieu ? Si Dieu, le Dieu Mythe, n’existe pas, c’est néanmoins une réalité psychique et ontologique logée au cœur de l’individu humain. À cette réalité, l’AO donne un nom : « Désir ». Rien n’y peut rien : le Désir fait l’humain et l’humain est à la fois fils et père du Désir. Or le Désir – Désir de Pouvoir sur un enfant ou sur un pays, sur un corps ou sur un sol – le Désir, c’est le mal, et le mal n’est qu’en l’humain. Le Désir est en chacun : certains le dépassent, d’autres s’y noient. Et ceux qui s’y noient, ceux qui ne le (re)connaissent pas en eux et sont à sa merci lui donnent un nom : « Dieu ». Dieu est bien un Mythe, étant la violence ou le mal travesti en son contraire – Dieu est le Désir hypostasié.

Ce Désir, immense, intense, plutôt que de le regarder en face, de lui donner son vrai nom et de prendre contre lui les mesures qui s’imposent, il est tellement plus confortable de le projeter au sommet du ciel ou du Système et de s’agenouiller devant ce qu’on décrète sa splendeur. Tout-Puissant, oui, mais seulement sur celui qui refuse de voir sa propre vérité et qui, avec la complicité des religions, le déguise en magnificence et en omnipotence. Et celui-là, qu’en est-il de sa spiritualité ? Dès qu’une question se pose, la réponse l’a précédée : Dieu. Autrement dit, Dieu est le pire écran devant l’esprit.

Ce n’est pas Dieu qu’il faut servir : c’est l’homme qu’il faut aider. Ce n’est pas Dieu qu’il faut chérir : c’est l’humain qu’il faut aimer.

Ce n’est pas Dieu qu’il faut chercher : c’est le Désir qu’il faut sonder – voilà la vraie spiritualité.

Jeunesse, voilà qui t’appartient !

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