L’EUROPE ET LES MIGRANTS

Voilà donc que des milliers de migrants viennent de débarquer sur les côtes de Lampedusa et que la question se pose à toute l’Europe, avec plus d’acuité que jamais, de savoir s’il faut ou non les accueillir. S’affrontent sur cette question les dits « humanitaires » partisans de l’accueil à n’importe quelle condition, et ceux qui, dans le meilleur des cas, sont taxés d’indifférence par le pape, ou dans le pire d’égoïsme par beaucoup, quand ce n’est pas de xénophobie et tout ce qui peut festonner ou enguirlander cette insulte dont chacun sait qu’elle voisine volontiers avec « fascistes » et autres synonymes aux relents hitlériens. Quelqu’un, quelque peu versé dans l’AO, me disait récemment : « Toi qui condamnes partout et tout le temps le Même, tu dois être ouvert à l’accueil de l’Autre ! »

Voilà qui mérite sinon exige une mise au point.

D’abord, il ne faut pas confondre « Autre » et « Autrui ». L’Autre renvoie à tout ce qui est inédit ou inconnu ; Autrui désigne bien sûr tout individu qui n’est pas moi. Rien de plus général et abstrait que l’Autre ; rien de plus particulier et charnel qu’Autrui. Je ne peux que concevoir intellectuellement ou constater empiriquement l’Autre ; Autrui, je le vois, je l’entends, je peux converser et entretenir avec lui toutes sortes d’échanges. Les concepts de « Même », d’ « Autre » et d’ « Autrui » trouvent bien sûr leur sens dans le cadre du Processus : celui-ci consiste à partir de l’Horizontale originelle marquée par le Même et à s’aventurer toujours plus loin et plus haut dans l’Autre ; bien sûr, tout au long de cette progression, je rencontre en permanence Autrui : celui-ci soit représente un obstacle à mon cheminement, ce qui s’appelle la violence, soit le favorise, ce qui s’appelle l’amour (au sens très large du terme, évangélique si on veut, à savoir « qui aide, assiste, encourage, etc ») ; de même, avec Autrui, je peux moi-même adopter soit un comportement de violence soit une attitude d’amour.

Ensuite, si, sur une plage, je rencontre un migrant trempé, grelottant et affamé, bien sûr que je vais lui fournir des vêtements et un repas chauds ; toutefois, il ne m’appartient pas, qui que je sois, de décider si cette personne doit ou non être admise sur le sol européen : ce problème ne se pose pas sur le plan individuel, n’ayant de pertinence que sur le plan collectif. Et là il faut discerner deux façons de le traiter, selon que l’on se place dans l’optique du Religieux ou dans celle du Politique, donc à l’intérieur d’un Système ou au sein d’une République. Et forcément, le problème va recevoir un traitement différent, et radicalement, dans les deux cas.

I. RELIGIEUX ET SYSTÈMES.

Qui envisage le migrant sur le plan du Religieux se situe dans un Système – mais lequel ? Quel nom faut-il lui donner ? « Europe » ou « France », « Allemagne », « Italie », etc. ? Quel que soit le Système, ses résidents sont des Comparses, mais ceux-ci, selon qu’ils le sont du Système Europe ou d’un Système Nation, ne vont pas tenir le même discours ou afficher la même attitude.

1. Système Europe.

Contrairement aux Systèmes Nations, le Système Europe est occulte. Son nom même est un Mythe, un beau cache-violence, puisqu’il est trop évident que cette Europe de Maastricht n’a été fondée que par quelques-uns pour satisfaire leurs intérêts financiers, ce qu’ils n’avoueraient jamais tout haut, eux qui dissimulent leur cupidité si ce n’est leur rapacité sous de beaux dehors que décorent les mots de « paix » ou de « ruissellement », variations du même Mythe. Dans le Système Europe qui ne dit pas son nom ou ne s’avoue pas Système, et dont le dieu est l’Avoir, les quelques-uns qui l’ont fondé sont les Dominants ; tout le reste, mis au service de leur fortune, sont les Dominés. Les Dominants ne peuvent que considérer favorablement les afflux de migrants : ils y voient une main-d’œuvre à bon marché et des consommateurs en nombre, tout ce qui va augmenter leur Avoir. Ce sont eux qui, la main sur leur cœur humanitaire, clament qu’il faut accueillir « l’Autre ». Dans leur bouche, cet « Autre » est un Mythe, encore un cache-violence, puisque, désignant l’Autrui migrant, il recouvre et dissimule « un autre Dominé », donc en fait un « Même », exploitable comme les autres, mieux que les autres peut-être.

2. Système Nation.

Il faut y distinguer ceux qui rejettent les migrants, et qui sont des Dominés, lesquels sont empreints avant tout de Désir régressif, et ceux qui sont pour l’accueil des étrangers, et qui sont des Dominants, lesquels sont possédés surtout par le Désir agressif.

a. Les rejetants.

De ce Système, du Système Nation, le dieu est en effet le Même. Ceux qui se réfugient dans un Système sont travaillés par la Phobie progressive ou la Phobie de l’Autre, et celle-ci se traduit par une Phobie d’Autrui, c’est-à-dire par une xénophobie dont l’expression peut aller de la méfiance à la Haine, avec tout ce que cette attitude comporte d’indifférence à la souffrance ou d’agressivité à l’égard des Différences. Le Comparse du Système Nation ressent tout individu étranger ou venant de l’Autre comme menaçant ce qu’il appelle son « identité », c’est-à-dire le Même-national, qui lui sert d’Être. En fait, ce discours relève encore du Mythe : le Comparse du Système Nation redoute avant tout que ce porteur d’Autre le soit en fait d’un plus, et que le migrant ne devienne un Dominant, ce Dominant que lui-même n’a pas réussi à devenir – attitude que l’AO appelle « Dépit ». Dès lors, ce Comparse national exige que son Système soit hermétiquement clos à l’intérieur de ses frontières, et qu’il expulse tous les étrangers.

Se reconnaît là l’extrême-droite.

b. Les accueillants.

Mais, à l’intérieur du Système Nation, se font entendre également les partisans de l’accueil sans condition. Parmi ceux qui tiennent ce discours, il faut distinguer d’une part les individus figurant parmi les quelques-uns qui sont les Dominants du Système Europe, et d’autre part ceux qui aspirent à devenir des Dominants avec toujours plus de Pouvoir à l’intérieur du Système Nation. Tous disent, chantent, psalmodient : « Il faut accueillir les migrants : leur apport est une richesse pour le pays ! » C’est là un nouveau Mythe, mais pas exactement le même pour les deux catégories. Pour les Comparses du Système Europe, voir ci-dessus ; pour les autres, la formule signifie : « Voilà de nouveaux électeurs ! » Pour tous, la formule signifie « Par ici les nouveaux Dominés ! » avec cette différence que les Comparses du Système Europe voient dans les migrants un apport à leur Avoir alors que les Comparses du Système Nation voient en eux un apport à leur Pouvoir.

Dans ces derniers, il faut bien sûr voir l’extrême-gauche.

Mais, dira-t-on, quid de ceux qui veulent réellement accueillir, sans arrière pensée ou par humanité authentique ? Ceux-là doivent être envisagés dans le cadre du Politique.

II. POLITIQUE ET RÉPUBLIQUES.

La République est au Politique ce qu’Autrui est à l’Autre : une entité individuelle et physique face à un concept intellectuel et abstrait, le second ne cessant cependant d’informer la première en profondeur et en détail. C’est pourquoi, si même on parle de la République sur le plan philosophique, sur le plan pratique il faut parler d’une République, c’est-à-dire que le concept s’incarne dans une communauté que définit et qui mène une politique, communauté qu’on appelle aussi une « Nation », laquelle dès lors se définit par une géographie et une histoire, autrement dit par le lieu sur lequel elle s’établit et par son évolution au cours des siècles, de même que par ses valeurs et par ses mœurs.

Une République n’est pas un Système en ce que n’y règne pas le Pouvoir, lequel ne s’exerce que par un seul ou un groupe dans son seul intérêt, mais l’Autorité, qui ne vise que l’intérêt de ceux sur qui elle s’exerce. Alors que le Système n’est régi que par l’arbitraire des Injonctions que dicte le Désir du/des Dominant(s), la République est structurée par la rationalité des lois que dicte la Volonté de tous ou la volonté générale. Une République est constituée par une communauté de citoyens qui ne le sont que pour avoir passé ensemble un contrat, celui-là même que Rousseau appelle le « contrat social ». Par ce contrat, chacun s’engage à neutraliser son intérêt particulier ou son Désir pour ne servir que l’intérêt général de toute sa Volonté – ce que l’AO appelle « Ascèse ». Le citoyen, si même il n’est pas un Adulte accompli, ce qui reste un idéal toujours à rejoindre ou vers quoi s’astreindre à marcher (le Processus), est au moins un Individu, c’est-à-dire qu’il est en possession de sa pleine Souveraineté, par la vertu de laquelle il a adhéré inconditionnellement au contrat social et n’œuvre que pour servir et enrichir cette transcendance qu’est la communauté/Nation, laquelle est l’Autorité. Le bénéfice est pour tous, donc pour chacun.

La question qui se pose ici est simple : la République/Nation peut-elle intégrer de nouveaux individus, et à quelles conditions ?

Oui, la Nation peut intégrer de nouveaux citoyens si chacun de ceux-ci adhère au contrat social, c’est-à-dire (re) connaît les valeurs de la République, accepte ses mœurs, donc s’engage formellement à la servir et à l’enrichir de la part d’Autre dont chacun et porteur. Symétriquement, la République ne peut pas et ne doit pas accueillir qui ne reconnaît pas ses valeurs, rejette ses mœurs, ne vient pas pour la servir mais pour s’en servir, et, au lieu d’obéir à ses lois, prétend imposer ses Injonctions quand ce n’est pas les imposer à Autrui. En d’autres termes, la République peut intégrer de nouveaux citoyens nantis d’une Volonté mais doit rester fermée à des Comparses pétris de Désir qui tenteraient de la faire régresser vers le Système ou qui bafouent l’Autorité pour instituer leur Pouvoir (cf. les islamistes).

C’est ici que se rencontre le citoyen soucieux d’aider Autrui. Le geste charitable est un geste éminemment politique, et celui qui l’exécute doit être nanti de la conscience qui l’invite à le pratiquer, d’être humain à être humain, mais qui le contraint également à laisser à l’Autorité la pleine latitude d’évaluer les motivations de tout migrant ou de tout prétendant à entrer sur le sol national, puis d’intégrer ceux qui adhèrent au contrat et d’interdire l’entrée à ceux qui le rejettent. Le citoyen, précisément parce qu’il est hautement conscient du Politique, ne peut avoir la faiblesse de favoriser l’installation dans la République de celui qui, à son geste d’amour, répond par la plus pure violence, ou qui, à son geste de bonne Volonté, répond par le Désir le plus forcené.

C’est ici qu’il faut évoquer le bataillon des avocats qui prétendent se mettre au service des migrants. Bon nombre d’entre eux, totalement indifférents aux motivations de leur « clients », font jouer tous les ressorts de la procédure pour retarder et finalement empêcher leur rejet ou leur expulsion. En fait, ces gens font du droit ce qu’il ne devrait justement jamais être, à savoir un instrument de Pouvoir contre l’Autorité ; ils finassent avec les lois pour gagner contre les lois ; ils excipent du « droit de la personne » pour aller contre le droit de la République ; le « droit de la personne » est le Mythe derrière lequel ils dissimulent leur vanité, à savoir leur Désir, celui d’être les plus forts, d’imposer leur Pouvoir à la République – triomphe du Religieux sur le Politique.

Le dernier point à traiter est celui du nombre des migrants. Si « Sacrifie-toi à Autrui » est un principe du Religieux (surtout chrétien), celui du Politique est « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Il apparaît du devoir de la République, et c’est même le plus élémentaire, d’évaluer ses besoins et de n’intégrer que ceux des migrants qui apparaissent en mesure d’y répondre. Tout autre attitude est pour elle proprement suicidaire.

À chacun de se déterminer – mais en connaissance de cause – pour le Religieux ou pour le Politique.

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