L’EUROPE VERSUS LA NATION

Une crise inédite secoue le pays : celle des agriculteurs. Nos dirigeants, lesquels en l’occurrence sont nos *Dominants, en font immédiatement des cauchemars que traversent force tracteurs et sur lesquels pèsent par tonnes bottes de paille et tombereaux de purin. Mais heureusement pour eux, les agriculteurs ne sont pas les routiers, les paysans ne sont pas les Gilets jaunes : quelques annonces, et ils sont en majorité retournés dans leurs exploitations, même si le Salon de l’Agriculture qui se profile pour la fin de ce mois de février est considéré comme une clause de revoyure. En attendant, Jupiter et son petit Mercure de service soufflent un peu. Mais il est intéressant de considérer ce qu’ils ont trouvé sinon pour sortir de l’impasse du moins pour gagner un peu de temps. Il s’agit d’une grande idée : « L’exception agricole française », idée calquée sur « L’exception culturelle française », et, encore plus intéressant, idée qui peut même devenir, avec un beau néologisme en forme de mot valise, « L’exception agriculturelle française ». Il ne faut pas s’y tromper : ce qui se révèle là, au grand jour, c’est rien de moins que le divorce profond entre la Nation et l’Europe.

C’est bien au sein de cet ensemble nommé « Europe » que réclame d’exister non pas pour mais selon elle-même une entité qui porte un nom devenu quelque peu obsolète quand ce n’est pas franchement suspect : la Nation. Jupiter, un peu bafouillant, se raccrochant à toutes les vagues branches qu’il peut, parle de « souveraineté française » en même temps que de « souveraineté européenne ». De toute évidence, il a bien compris où se situe le problème et quelle est sa nature, mais il apparaît que, même s’il la conçoit fort bien dans le fond de lui-même, il n’est pas près d’adopter la seule solution qui serait la bonne puisqu’aussi bien il ne peut y en avoir d’autres.

I. SOUVERAINETÉ.

La situation problématique peut se formuler en termes fort simples : l’Europe est une *Distance qui écrase et efface les *Différences que sont les Nations. Résultat : les Nations, subissant cette violence depuis maintenant plusieurs décennies, bronchent, regimbent et même maintenant frondent. Quand se trouve lancée l’idée d’ « exception agriculturelle française », bien loin que ce soit seulement les agriculteurs qui demandent, qui supplient qu’on les délivre des innombrables et invivables « normes » bruxelloises, c’est la Différence France qui s’en prend à cette *Verticale écrasante qu’est l’Europe de Maastricht et qui exige d’exister – revendication existentielle – ou qui exige même de persister dans son *Être – revendication ontologique. En fait, le cri qui s’élève est un appel angoissé du pays à garder son identité.

Malheureusement, il est bien difficile de voir où serait l’issue puisque Nation et Europe sont deux structures et deux modes de fonctionnement rigoureusement incompatibles.

En quoi ?

Quand Jupiter parle de « souveraineté française », il prononce une formule qui a un sens mais dont il refuse ce qu’elle recouvre de toutes ses fibres ultra-libérales ; quand il parle de « souveraineté européenne », il prononce une formule à laquelle il désire qu’on croie mais qui n’a rigoureusement aucun sens. En effet, qu’est-ce que la souveraineté ?

L’AO assigne au concept « *Souveraineté » un sens individuel : le fait pour l’individu de n’être ni *Dominé ni Dominant, ni un Dominé prisonnier du *Pouvoir d’un Dominant ni un Dominant aliéné à la soumission de ses Dominés. La notion peut évidemment se transposer au niveau de la Nation : celle-ci est souveraine si elle ne dépend d’aucune autre entité politique ni juridiquement, ni administrativement, ni économiquement, ni idéologiquement, c’est-à-dire si elle décide elle-même de sa politique, en fonction de ses intérêts, à savoir en accord avec l’intérêt général ou le bien commun. Voilà l’impératif absolu : la Nation, entité politique, est souveraine si la capacité législative appartient au peuple. C’est là le *Politique pur : le peuple se donne les lois qui garantissent l’intégrité de tous et de chacun, à savoir la liberté, la sécurité et tout ce qui fonde la vie du Citoyen, tout ce qui fait que tous, ensemble, disent « Nous » – gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ou démocratie. Dès lors, la « souveraineté française » ne peut être dite que par le peuple français.

Mais la « souveraineté européenne » ?

Pour que cette expression ait un sens, il faudrait qu’il y ait un peuple européen. Or quand y a-t-il eu, une seule fois, un peuple qui se soit constitué en Europe, qui ait dit « Nous » et qui ait décidé pour lui-même des lois que chaque Citoyen européen s’engageait à observer pour le bien commun ? Jamais, et cela depuis les origines. Qu’observe-t-on en Europe ? Un groupe, un petit groupe de technocrates, de juges et de commissaires, évidemment non élus, donc des Dominants, à qui appartient la capacité législative ET exécutive, et qui imposent leurs vues comme leurs règles à l’ensemble de la communauté européenne dans leur propre et seul intérêt, avant tout financier. Bien loin de la démocratie, il s’agit d’une oligarchie, ou même plutôt, étant donné le poids de l’économique dans le dispositif, d’une ploutocratie qui impose non pas des lois relevant de l’Autorité mais ses *Injonctions émanant du Pouvoir, et qui ne tolère pas d’être remise en cause (voir la tache originelle de 2007, déni de démocratie comme l’Europe n’en avait pas vu depuis l’Allemagne nazie !). Les idéologues à l’œuvre à Bruxelles ont même trouvé maintenant un moyen de disqualifier tout ce qui relève de la contestation : nommer celle-ci « haine ». Qui s’élève contre l’arbitraire maastrichien se voit taxé immédiatement de propos haineux et bien sûr rejeté immédiatement à l’extrême-droite, au plus profond de la fachosphère. Dès lors, il est bien clair que l’expression « souveraineté européenne » est très exactement ce que l’AO appelle « *Mythe », un formidable cache violence, un rideau tendu devant le Pouvoir, même s’il faut constater que ce rideau pendouille tant ce pauvre Jupiter ne peut plus prononcer l’expression sans que la langue lui torde et lui vrille. En réalité, le Dominant Jupiter va prendre ses ordres à Bruxelles, ou auprès de Madame von den Leyen, laquelle prend elle-même ses ordres à Washington. En fait de souveraineté, on fait mieux !

En fait, si Nation et Europe sont incompatibles, c’est que la première relève du Politique et la seconde du *Religieux.

II. DROIT ET DÉSIR.

La Nation France, comme n’importe quelle autre, a vocation à être une *République ; l’Europe est de toute évidence un *Système, et le pire qui soit depuis les grands empires totalitaires du XX°.

Tout Système, étant la violence institutionnalisée des Dominants, s’expose à essuyer une violence réactive de la part des Dominés, violence seconde que l’AO dit dionysiaque, et qui menace l’existence même du Système. Les Dominants doivent parer à ce danger. Qu’ont-ils trouvé dans ce but ? Les droits individuels… Un chef-d’œuvre !

Il n’y a pas, parce qu’il ne peut pas y avoir, de Citoyen européen. Il n’y a que des Dominants et des Dominés européens. Le problème que posent les Dominés aux Dominants, c’est qu’ils doivent être « tenus ». Les Injonctions des seconds ne peuvent que susciter les critiques des premiers et à terme leurs révoltes. Il faut donc trouver autre chose. Les Dominants européens ont alors fait une trouvaille qui relève du génie, génie pervers mais génie certain. Ils se sont emparé, pour le dévoyer, de ce qui constitue le geste politique le plus révolutionnaire des temps modernes, à savoir la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Cette déclaration était celle de la Nation. Les Dominants de Bruxelles ont quant à eux proclamé la « Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen » : cet ajout de l’adjectif « universelle » correspond en fait à un passage de la Nation à l’Europe, ce qui a pour effet, puisqu’on passe de la République et de son Autorité au Système et à son Pouvoir, d’ignorer l’Homme et de nier le Citoyen. Cette violence pouvant difficilement être masquée par le Mythe « souveraineté européenne », qui ne marche pas, il faut acheter la paix sociale autrement : alors que l’Homme est l’individu sollicité dans sa dignité et le Citoyen dans sa *Volonté, le Dominé européen va être sollicité dans sa vanité, c’est-à-dire dans son *Désir. Autrement dit, on le fait régresser du Politique, du « Nous » que et qui portait la Nation, au Religieux ou au « je » que flatte et qu’exalte l’Europe. À chaque Dominé européen, les juges européens signifient : « Tu as le droit de faire valoir tes revendications personnelles envers et contre tout – nous te donnerons toujours raison ». Si bien que chacun se voit autorisé et même invité à régresser du Citoyen au *Comparse, à se soustraire à l’effort de la Volonté pour se vouer à la volupté du Désir, c’est-à-dire à devenir une sorte de petit Dominant de poche et provincial ayant toute latitude pour imposer à tout le monde sa vision narcissique de lui-même voire pour exercer un droit de censure absolu sur les opinions d’ *Autrui pour peu qu’il les juge blessantes pour ses propres convictions. Si les « Droits de l’Homme et du Citoyen » fondaient une politique, les « Droits universels de l’Homme et du Citoyen » ne fondent plus qu’une religion – en l’occurrence autant de religions que de Comparses. C’est la porte ouverture à toutes les hubris, ce qu’on appelle la tyrannie des minorités mais qu’il faut appeler aussi tyrannies des petits dieux.

À cet égard, il faut souligner le rôle joué par cette institution dont la seule fonction est d’être au service du Désir, à savoir la publicité. Récemment, je suis tombé sur ce slogan : « Vivez, nous nous chargeons du reste. » Traduction : « Adonnez-vous autant que vous voulez à votre Désir, nous mettons tout en œuvre pour que rien ne l’entrave. » Mais bien sûr, dans le cadre de la présente réflexion sur l’Europe, il faut mettre au jour également ce qu’il convient d’entendre en dessous même de cette traduction : « Plus vous vous abrutirez de votre propre Désir, et moins vous songerez à contester notre position de Dominants, nous qui avons trouvé, avec l’Europe, le moyen de nous en mettre plein les poches ! » Il ne fait pas de doute que l’objet majeur du Désir chez les dirigeants européens n’est pas la gloire (personne ne les connaît, ils laissent cet objet aux petits dieux avides de like et de followers) mais l’ *Avoir, au service exclusif duquel ils mettent un formidable Pouvoir.

Les Dominants européens rechignent à inscrire les racines judéo-chrétiennes de l’Europe dans sa constitution : ce n’est pas par *Athéisme convaincu au contraire, c’est pour effacer un Religieux par un autre, en l’occurrence le Religieux divin par leur Religieux mondain.

Il importe que chacun de nous se demande s’il veut être un Citoyen français (ou allemand, ou italien, ou espagnol, etc.) ou s’il désire n’être qu’un Comparse européen.

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