LA NOUVELLE MIRACULÉE DE LOURDES
Sœur Bernadette Moriau vient de voir son nom ajouté à la liste des miraculés de Lourdes. Après plusieurs décennies de handicap et de souffrance, elle a tout à coup, à l’occasion d’un pèlerinage à la fameuse grotte, été délivrée de son mal. La médecine ne peut voir là qu’une « guérison inexpliquée » ; de ce phénomène, l’Église, après dix ans d’enquête et au terme de la procédure ad hoc, fait un miracle. La science, par honnêteté, laissant là un blanc, l’Église, par opportunité, envahit ce blanc de surnaturel. Bernadette a guéri Bernadette – ou plutôt, car il ne faut pas manquer à la Hiérarchie sans laquelle l’Église n’est rien – Marie, par l’intermédiaire de Bernadette, a guéri Bernadette.
Examinons ; analysons.
Une personne a cessé de souffrir : je suis le premier à m’en féliciter pour elle, soit dit sans ironie aucune. Pourtant, avant de conclure au miracle et même, pour certains, de décider qu’il y a là une belle occasion de se mettre à croire, il faut procéder à une petite opération, simple et décisive : observer l’envers du Mythe.
Une personne est guérie : mais toutes les autres ? Avec une guérison, l’alleluia menace : faut-il l’entonner en considérant toutes les guérisons qui se font encore attendre ? Une personne cesse de souffrir mais combien doivent continuer de l’endurer ? Des dizaines, des centaines, des milliers, des dizaines voire des centaines de milliers, dont tant de gens qui n’ont jamais fait de mal à personne… Et tout le reste de la souffrance du monde, celle qu’engendrent les guerres (la Ghuta orientale, les enfants sous les bombes !…), et qui attend encore et qui attend toujours l’intervention miraculeuse et salvatrice ?
Avant de célébrer, il faut se poser la question : pourquoi telle personne et pas la foule de toutes les autres ? Comment la divinité – Marie, ou Jésus, ou le Saint-Esprit, ou Dieu Soi-Même et en Personne – fait-elle son choix ? Sur quel(s) critère(s) ?
Vois-tu l’(énorme) aporie du Mythe ? Vois-tu comment le bel extérieur du Mythe, la tête d’épingle dorée d’une miraculée, dissimule une énorme masse d’injustice, c’est-à-dire de violence ?
Dès lors, toi qui es tenté par la croyance, toi qui, devant ledit miracle, es soumis à la Tentation, celle de te faire Comparse dans le grand Système chrétien, pose-toi deux questions :
– Est-il bon de croire en un dieu qui décide de guérir cette franciscaine et s’abstient de – sinon se refuse à – soulager le reste de l’humanité souffrante ?
– Est-il bon de se soumettre à une Église qui valide cet arbitraire ?
À la première question, peut-être es-tu tenté de répondre : « Les voies du Seigneur sont impénétrables ». Demande-toi alors si cette pirouette intellectuelle dictée par la foi ne relèverait pas de la pire mauvaise foi.
À la seconde question, peut-être es-tu tenté de répondre : « Hors de l’Église, pas de salut ». Demande-toi alors si le salut est de s’engloutir dans un Système ou d’initier son Processus, de s’incarcérer en nombre ou de se libérer tout seul.
Peut-être vaut-il mieux qu’il n’y ait pas de dieu… Peut-être vaut-il mieux qu’il n’y ait pas d’Église…